PREMIÈRE PARTIE

Evolution séculaire du niveau des mers






I. Introduction à l'eustatisme

Le Grand Larousse Universel [1989] définit l'eustatisme comme la "variation lente du niveau des océans et des mers, d'origine tectonique ou climatique" alors que le Petit Larousse [1963] limite sa définition à la "théorie qui attribue aux glaciations les variations générales du niveau des mers". Quant au Petit Robert [1991], on peut y lire: "mouvements eustatiques, variations du niveau de la mer dues notamment à la fonte des glaces et à la glaciation". Enfin, la Nouvelle Encyclopédie Bordas [1985] donne la définition suivante: "théorie selon laquelle la variation du niveau des mers serait due aux glaciations; ces variations sont dites eustatiques". Au regard de ces définitions, un esprit curieux ne manque pas de ressentir une certaine frustration face à cette absence de détails que l'on n'est pas habitué à trouver dans les grandes encyclopédies. Les informations fournies sur l'eustatisme sont réduites au minimum nécessaire pour donner une idée vague du sujet. L'explication se trouverait dans la complexité du phénomène, encore mal appréhendé. Cependant, il existe une littérature de plus en plus abondante dans le domaine de l'étude du climat de la Terre et de ses changements, notamment depuis que l'Homme, prenant conscience des limites de son habitat, la Terre, s'intéresse à son environnement et à l'impact que ses activités ont sur ce dernier.

Ce chapitre apporte des éléments de base à une meilleure compréhension de l'eustatisme. Il permet de situer l'application principale de notre étude dans son contexte scientifique général. Mais surtout, ce chapitre a pour objet d'éclaircir quelques notions essentielles pour la suite de l'exposé, voire de définir notre propre terminologie, en particulier en ce qui concerne la grandeur "niveau de la mer".

Les deux éléments importants que nous pouvons déjà retenir des définitions succinctes, énoncées ci-dessus, sont : des variations du niveau de la mer lentes et générales. Leur origine résidant dans les glaciations, nous commençons par présenter le cadre dans lequel elles se produisent.

I.1. Le système climatique

I.1.1. Composantes du système climatique

Le système climatique terrestre est défini selon Peixoto et Oort [1992] comme un système thermo-hydrodynamique composé, non isolé, et fermé. Autrement dit, l'univers étant divisé en deux parties, le système et l'environnement, il s'agit d'une partie de l'univers qui contient de la matière et de l'énergie (thermodynamique); qui est constituée de systèmes simples formant une partition mathématique (composé); qui échange de l'énergie avec son environnement (non isolé); mais qui n'échange pas de matière avec cette autre partie (fermé) [Tisza, 1966].

Les systèmes simples du climat, appelés également sous-systèmes, sont tous non isolés et ouverts, par opposition à la définition précédente de fermé. Ils sont au nombre de cinq et sont généralement appelés : atmosphère, hydrosphère, cryosphère, lithosphère et biosphère. Mais cette terminologie diffère parfois d'un auteur à l'autre. C'est ainsi que l'on trouve aussi la désignation suivante : atmosphère, océans, glaces, terres émergées et végétation [Sadourny, 1994]. Bien que cette seconde dénomination est plus restrictive que la première, elle identifie clairement les éléments les plus significatifs à l'heure actuelle dans l'étude et la modélisation du climat. La figure 2 illustre le système climatique et ses principales composantes.

Figure 2 : Le système climatique et ses différentes composantes. Vue schématique inspirée de Peixoto & Oort [1992].

L'atmosphère est la couche d'air qui entoure le globe terrestre. Elle constitue certainement la composante principale du système climatique en raison de la grande variabilité de ses propriétés physiques dans le temps et dans l'espace. Elle est souvent présentée selon un découpage simple en couches successives: troposphère, stratosphère, mésosphère et thermosphère. Ce découpage théorique s'appuie sur un critère de gradient vertical de température. Il est complété par des couches séparatrices, ou limites, dont le nom est composée de "pause". Par exemple, on observe en général une baisse régulière de la température dans la troposphère, depuis la surface terrestre jusqu'à une altitude d'environ douze kilomètres, ensuite la température se stabilise, c'est la tropopause. Cette limite conceptuelle sépare la troposphère de la stratosphère, où, à l'inverse, on observe une élévation régulière de la température au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la surface terrestre. L'idée d'une atmosphère stratifiée est d'autant plus justifiée que l'action de la pesanteur organise la matière en couches de densité décroissante avec l'éloignement du centre de masse de la Terre. Selon une estimation de Peixoto et Oort [1992], la troposphère et la stratosphère réuniraient 99% de la masse de l'atmosphère. Ce chiffre explique en outre l'importance particulière de la partie inférieure de l'atmosphère pour la compréhension des processus climatique. Par ailleurs, les masses d'air sont principalement mises en mouvement par l'énergie solaire qu'elles absorbent. Les différences d'échauffement sont à l'origine d'une circulation générale à grande échelle dans la troposphère, dont les mouvements s'organisent de manière à rétablir un équilibre thermique en transportant l'énergie du chaud vers le froid, et inversement. A cet égard, notons que les mécanismes de la circulation atmosphérique à grande échelle sont particulièrement influencés par la rotation de la Terre. En revanche, à petite échelle, au contact des limites inférieures de l'atmosphère avec les terres émergées et les océans, les mouvements turbulents prédominent.

L'hydrosphère englobe l'ensemble de l'eau en phase liquide sur la Terre. Elle comprend non seulement les océans, mais aussi les mers intérieures, les lacs, les cours d'eau et les eaux souterraines. Toutefois, les océans constituent l'élément principal de ce sous-système puisqu'ils couvrent plus de deux tiers de la surface terrestre, environ 360 millions de km2 qui concourent à l'absorption d'énergie solaire et à l'émission d'énergie infrarouge. En raison de leur masse et de la chaleur spécifique de l'eau, les océans représentent un important réservoir d'énergie. Le stockage est réalisé par la couche d'eau en surface, dont l'épaisseur varie suivant les saisons et l'intensité des vents. Cette couche, d'une profondeur moyenne de cent mètres, est appelée couche de mélange océanique car, soumise à l'action du vent, elle est très homogène en température et en salinité, mais aussi très turbulente. Sa température dépend de l'énergie absorbée par l'océan, elle est particulièrement élevée dans les régions intertropicales, due à l'intense rayonnement solaire incident. De même que dans le cas de l'atmosphère, l'océan présente une circulation générale qui transporte l'énergie emmagasinée dans les régions intertropicales chaudes vers les latitudes moyennes et polaires plus froides, mais aussi des latitudes élevées froides vers les latitudes basses plus chaudes. On distingue deux types de circulation: l'une, en mouvement sous l'influence des vents alizés et de la rotation de la Terre; et l'autre, engendrée par les différences de température et de salinité. La première est constituée des grands gyres quasi horizontaux que forment les courants de surface tels que le Gulf Stream. La seconde a manifestement sa source dans le Nord de l'Atlantique, où des eaux très froides plongent en profondeur et s'acheminent lentement vers l'hémisphère Sud, il s'agit de la circulation thermohaline. Hormis ses échanges importants de matière et d'énergie avec l'atmosphère, l'océan joue un rôle particulier en raison de son inertie thermique et mécanique qui retardent la manifestation d'une perturbation du climat sur plusieurs décennies. Ainsi, les océans sont capables d'absorber en surface un excès de chaleur, mais aussi un excès de gaz carbonique, et d'emmagasiner ces surplus dans les profondeurs de l'océan pour les restituer ultérieurement.

La "cryosphère", dont le nom provient de sphère et du mot grec kruos, qui signifie froid, est formée de l'ensemble des glaces continentales et marines: glaciers alpins, calottes glaciaires, Groenland et Antarctique, mais aussi glaces de mer, permafrost et neige. Les principales caractéristiques de la cryosphère, qui intéressent l'étude du climat, sont, d'une part, sa grande capacité à réfléchir le rayonnement solaire incident; et d'autre part, sa faible conductivité thermique. La première caractéristique affecte l'albédo planétaire, et la seconde réduit les échanges thermiques entre les océans, les terres émergées et l'atmosphère. Les changements saisonniers et interannuels de la couverture terrestre en glace et en neige ont surtout des effets notables à long terme sur le système climatique, aboutissant en particulier aux fameuses périodes glaciaires et interglaciaires du Pléistocène. Par ailleurs, les glaciations influent sur la stabilité des couches basses de l'atmosphère qui seront plus froides en contact avec les glaces; sur la masse et le volume des océans; et sur la couverture des terres émergées. Mais, elles exercent aussi une influence significative sur la circulation thermohaline, notamment sur la formation d'eau profonde dans le Nord de l'Atlantique. Lors du dernier maximum glaciaire, mais également au cours de périodes plus récentes de refroidissement rapide et intense, on aurait constaté le ralentissement et l'interruption du transport d'eau profonde [Minster, 1994]. L'explication se trouverait en partie dans l'étendue des glaces vers les latitudes basses, mais aussi dans la nouvelle structure verticale de la densité des océans due en particulier à une salinité plus élevée.

La lithosphère représente la partie solide de la sphère terrestre: terres émergées, plateaux continentaux et planchers océaniques. La topographie de ses éléments affecte les mouvements des deux grands fluides que sont les océans et l'atmosphère. L'interaction avec l'atmosphère et les océans est particulièrement bien illustrée par les échanges importants de matière et d'énergie qui ont lieu au cours du cycle de l'eau: évaporation, précipitation et écoulement. Dans une moindre mesure, le transfert de masse et d'énergie s'effectue aussi par le biais des volcans qui, en particulier lors d'éruptions telles que celle du Mont Pinatubo en 1991, injectent des grandes quantités de particules et de poussières dans l'atmosphère. Les aérosols influent sur le bilan radiatif de la Terre, avec un effet de refroidissement du climat qui, dans certains cas de figure, pourrait atténuer, voire masquer complètement, le réchauffement global dû aux gaz à effet de serre [Cox et al, 1995].

La biosphère comprend les systèmes biologiques marin et continental. Elle regroupe l'ensemble des organismes vivants de la faune et de la flore. Toutefois, la végétation joue un rôle prépondérant. Elle affecte l'équilibre en gaz carbonique dans l'atmosphère et dans les océans à travers la photosynthèse et la respiration. Par ailleurs, elle modifie certaines propriétés physiques de la surface terrestre, telles que l'albédo ou la rugosité. Enfin, elle influe sur d'autres caractéristiques importantes pour le climat, telles que l'évaporation ou l'écoulement de l'eau. Tous les organismes vivants ont influencé dans une certaine mesure leur environnement, cependant l'action de l'espèce humaine semble sans précédent dans l'histoire de la Terre. En quelques siècles à peine, l'Homme a altéré l'environnement de manière notable au travers de la déforestation, l'agriculture, l'urbanisation et l'industrie. A cet égard, il serait à l'origine du réchauffement global actuel.

Chacune des composantes du système climatique peut être caractérisée par sa composition chimique, son état thermodynamique et son état mécanique. En général, ces différents états, ainsi que leur évolution dans le temps, sont déterminés par des ensembles de grandeurs qui représentent certaines propriétés physiques du sous-système en question. Par exemple, l'état thermodynamique pourra être défini par des grandeurs comme la température, la pression, l'humidité, la chaleur spécifique, la densité et la salinité, alors que l'état mécanique sera précisé par des vitesses et des forces.

Mais les éléments du système climatique sont également caractérisés par une notion importante d'échelle temporelle qui correspond au temps de réponse du sous-système à une perturbation externe à celui-ci. Le temps de réponse est défini en automatique par l'intervalle de temps compris entre le moment où un signal d'entrée subit un changement brusque spécifié et le moment où le signal de sortie atteint, dans des limites données, sa valeur finale en régime établi, et, s'y maintient. Dans notre cas, ce concept traduit le temps nécessaire à un des éléments du climat pour trouver un nouvel état d'équilibre à la suite d'un changement qui lui est imposé de l'extérieur, forçage ou perturbation.

Les temps de réponse de l'atmosphère sont les plus courts de toutes les composantes du système climatique. Ils varient entre quelques minutes et quelques semaines, voire mois, suivant la partie de l'atmosphère qui est considérée, libre ou en contact avec les éléments de sa limite inférieure. Les temps de réponse associés aux océans dépendent de la profondeur considérée. Leur ordre de grandeur est typiquement de quelques semaines à quelques années pour la couche supérieure de l'océan, alors qu'il sera plutôt décennal à millénaire lorsqu'il s'agit de l'océan profond et de la circulation thermohaline. En ce qui concerne la végétation, les échelles de temps sont plutôt mensuelles à séculaires; pour les glaces de mer, elles sont hebdomadaires à décennales; pour les glaciers alpins, elles sont séculaires; et pour les calottes glaciaires, millénaires et plus. Enfin, l'écorce terrestre subit des déformations sur un spectre temporel assez large a priori, qui comprend en particulier les marées terrestres diurnes et les divers effets de charge engendrés par les divers mouvements de masses d'air, d'eau, de glace, et de sédiments. Elles s'étalent sur des durées de quelques jours à plusieurs milliers d'années, voire plus, en accord avec la durée de la cause de la déformation. Les phénomènes tectoniques et d'orogenèse sont à l'échelle de la dizaine de millions d'années. Mais, les changements importants de la lithosphère s'effectuent essentiellement sur des échelles de temps millénaire et plus. A cet égard, elle est souvent considérée comme un caractère permanent du système climatique. Cette démarche est parfois appliquée à d'autres sous-systèmes, suivant les propos de l'étude, l'atmosphère étant la composante minimale à prendre en compte en raison de sa grande variabilité temporelle.

Les valeurs des temps de réponse sont données à titre indicatif, elles illustrent le comportement de chaque élément du système climatique. Les chiffres trouvent notamment leur origine dans la composition et la structure propres à chaque sous-système. La connaissance de ces temps de réponse disparates servent aussi à mieux comprendre la complexité des interactions qui peuvent se produire entre les différents éléments du climat.



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  • Guy Woppelmann
    Last modified: Tue Dec 22 13:02:56 MET 1998