Conclusion générale


L'étude préalable du système climatique de la Terre montre que sa modélisation est fort complexe. La complexité des modèles n'est pas tant liée à la diversité des sous-systèmes du climat et aux processus physiques considérés, qu'à leur formulation mathématique compliquée, reposant sur des équations souvent non linéaires.

Dans ce cadre difficile, le niveau de la mer et notamment ses variations eustatiques présentent un intérêt scientifique certain comme indicateur et paramètre climatiques. Les données sur le niveau de la mer sont variées: géomorphologiques, archéologiques, isotopiques, biologiques, etc. La revue de ces données montre que chacune présente un intérêt dans l'étude et la compréhension des causes de variations à long terme du niveau des mers. Des chronologies ont été proposées pour ces variations, parfois elles remontent dans les temps géologiques jusqu'au Trias, voire le Cambrien. Au sujet de ces reconstitutions, Pirazzoli rappelle très justement que les difficultés rencontrées aujourd'hui pour séparer les variations du niveau de la mer des mouvements verticaux du sol dans les données récentes de marégraphie existent également dans les indicateurs du passé géologique. Elles sont souvent de nature locale. Aussi, toute extrapolation à l'échelle globale nécessite des hypothèses sur les mouvements du sol, hypothèses qui par ailleurs restent le plus souvent à confirmer.

La marégraphie et l'altimétrie radar sont les sources de données les plus récentes dont on dispose, ou plutôt, qui témoignent du passé le plus récent. En particulier, la marégraphie remonte au début du XIXe siècle. De nombreux auteurs ont analysé les données des marégraphes afin d'estimer les variations séculaires du niveau des mers et d'étudier leur relation avec le changement climatique qui devrait accompagner l'injection massive de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Nous avons effectué une analyse aussi critique que possible de ces études, tout en traitant en parallèle les données diffusées par le PSMSL. Nous avons ainsi dégagé les problèmes inhérents à cette base de données, à savoir que peu de marégraphes ont des séries temporelles assez longues pour filtrer les variations interdécennales du niveau de la mer, et que le caractère relatif de leur mesure est à l'origine de la présence de signaux épirogéniques dans les enregistrements. Après examen, il s'avère que l'incertitude des corrections apportées par les modèles géophysiques est encore trop importante, et que la couverture des données intéressantes est fortement biaisée géographiquement vers l'hémisphère nord. Aussi, tant qu'une référence " absolue " ne sera pas disponible pour surveiller les déformations verticales de l'écorce terrestre, les déterminations resteront incertaines.

La valeur de (1.6 +/- 0.3) mm/an que nous avons estimée pour la tendance séculaire récente du niveau des mers à partir de certains enregistrements marégraphiques est discutable à maints égards. Outre les critiques sur les différents choix réalisés, le principal reproche que l'on peut faire à l'égard de ce calcul est encore d'en afficher le résultat alors que le problème de la stabilité des repères de marée est au préalable reconnu important, et ne peut être traité de manière rigoureuse aujourd'hui par manque de données pertinentes. Le calcul et sa présentation dans ce mémoire avaient cependant pour seul objet de montrer qu'il est relativement aisé de produire une estimation cohérente avec la littérature, au niveau d'incertitude que l'on peut attendre de l'analyse des marégraphes seuls, mais qu'il est important de se garder de valider le résultat sur la base de son accord avec les résultats déjà publiés en raison des multiples sources potentielles de biais qui ont jusqu'à présent été mal appréhendées dans ce type d'entreprise. Une critique scientifique ne se laissera pas abuser par ce mécanisme de légitimation que nous cherchions justement à dévoiler par l'ironie. Toutefois, n'étant pas sûrs d'avoir atteint le but recherché et le risque subsistant que certains agents profanes, notamment les médias, succombent une fois de plus à imposer d'autorité et de l'extérieur du champ scientifique une valeur en omettant les limites exprimées dans les hypothèses qui ont permis le calcul et qui restent encore à vérifier, nous insistons dans cette conclusion sur ce point que nous jugions annexe dans le mémoire.

Au cours de ce travail de thèse, nous avons examiné les données du marégraphe centenaire de Marseille (Anse Calvo) qui appartient à l'IGN. Personne ne s'y était vraiment intéressé dans cet institut depuis une vingtaine d'années. Nous avons repris des opérations d'étalonnage pour contrôler son fonctionnement et recaler son zéro instrumental. Les diagrammes de van de Casteele que nous avons établis ne sont pas toujours aisés à interpréter. Ils montrent un appareil fiable et relativement stable, mais qui accuse quelques imperfections inhérentes à l'action du temps, propres aux systèmes mécaniques. La compilation des étalonnages passés montre que les calages réguliers de la référence instrumentale sont indispensables pour se prémunir d'une dérive qui ne peut être négligée lorsqu'on s'intéresse à des signaux aussi ténus que les variations eustatiques.

Faute d'une référence altimétrique stable de façon " absolue ", toute tentative de détermination précise des variations eustatiques à partir des enregistrements marégraphiques semble incertaine. Le caractère absolu est cependant un concept abstrait idéal et inaccessible a priori. Les éléments que l'on souhaite voir allouer du caractère absolu sont la stabilité du système et son étendue. On recherche en effet un référentiel universel, de façon à permettre l'accès à celui-ci en tout marégraphe côtier du globe, et une stabilité totale, de sorte que tout déplacement d'un repère de marée puisse être déterminé sans ambiguïté. En pratique, on se définit un degré d'imperfection du caractère absolu au dessous duquel le système est considéré comme tel. La définition s'effectue en relation avec l'application visée. Dans notre cas, un niveau d'instabilité acceptable du référentiel serait d'au plus 10% de l'amplitude des signaux que l'on cherche à déterminer, soit quelques dixièmes de millimètres par an.

Après un panorama des références verticales qui sont accessibles à proximité des marégrahes, nous nous sommes consacrés à étudier la qualité du système de référence terrestre établi par l'IERS. Les résultats sont encourageants, mais ils s'avèrent encore insuffisants dans le cadre de notre problème. D'une précision de l'ordre de plusieurs centimètres pour l'ITRF89, les résultats de positionnement sont d'ordinaire du centimètre aujourd'hui. Mais force est de constater que la composante verticale est la moins bien déterminée, d'un facteur deux environ par rapport à la composante horizontale. La précision des vitesses verticales de l'ITRF94 paraît, en termes d'écart-type, inférieure à 2 mm/an dans presque 40% des cas. L'indicateur de précision relative fourni par le coefficient de variation montre que les vitesses sont souvent peu significatives. En effet, dans au moins 65% des cas, nous ne sommes pas en mesure de discriminer si le point fait l'objet d'un affaissement, ou d'un soulèvement, avec un niveau de confiance statistique d'au moins 75%. Il est toutefois possible que les points soient effectivement stables, auquel cas cet indicateur relatif de qualité paraîtra trop fort, ceci quelque soit la précision absolue de l'estimation. Rappelons par ailleurs que les mesures précises sont récentes, et par conséquent trop brèves pour fournir des résultats clairs et significatifs. Il est donc encore difficile de les interpréter comme des mouvements réels de l'écorce terrestre. C'est ainsi que la technique spatiale DORIS, récemment introduite dans le calcul de l'ITRF, donne en général des estimations moins fiables. Enfin, il convient de constater que la qualité des différentes solutions de l'ITRF n'a cessé de progresser et l'on attend avec impatience la prochaine réalisation qui prendra en compte les énormes progrès réalisés en trois ans dans le traitement des données de géodésie spatiale et dans leur combinaison.

Les éléments de base du rattachement géodésique des marégraphes sont étudiés en distinguant les différentes grandeurs indépendantes. Le succès du processus synergique marégraphie - géodésie spatiale réside dans les progrès récents réalisés dans les techniques spatiales radioélectriques de positionnement en termes d'exactitude et de mise en oeuvre. Un inventaire aussi exhaustif que possible des sources d'erreur systématique est dressé pour chaque " maillon " de la chaîne du processus.

Au sein de chaque technique les sources d'erreur systématique sont nombreuses et variées. Une négligence ou un manque d'attention sur l'une des grandeurs du processus synergique affecte les résultats au bout de la chaîne. Les expériences menées dans le site de Kerguelen sont particulièrement édifiantes à ce sujet. Aussi, il est important que des experts en chaque domaine interviennent dans un cadre bien défini et spécifique. C'est en particulier sur ce constat que s'est bâti notre projet SONEL, Système d'Observation du Niveau des Eaux Littorales [Wöppelmann et al, 1996]. Le système prévoit de collecter les données de chacun des maillons du processus de rattachement des marégraphes par techniques spatiales. Il fournira d'une part des données de niveau moyen de la mer exprimées dans une référence géodésique mondiale et, d'autre part, la meilleure estimation possible du mouvement vertical de chaque repère de marée. L'atout principal de SONEL réside dans une participation active et coordonnée des différents acteurs, aussi bien des organismes producteurs des divers types de données qui peuvent garantir le suivi et l'analyse de ces données, que des utilisateurs qui donneront leur avis sur l'intérêt scientifique de tel ou tel site. Tant qu'un tel système intégré n'existera pas aux niveaux national et international, l'obtention de résultats de qualité restera incertaine.

Enfin, outre l'apport à la connaissance des phénomènes géophysiques qui sont inclus dans le signal séculaire du marégraphe, d'autres applications sont intéressées par cette synergie entre les techniques de la géodésie spatiale et de la marégraphie. Nous en mentionnons deux dans le mémoire. La première concerne l'unification des systèmes d'altitude. Nous avons vu que les surfaces de référence des systèmes d'altitude nationaux sont a priori cohérentes au niveau du mètre en raison de l'origine de chacune, fixée au niveau moyen de la mer en un point de la côte. Mais elles sont plus ou moins directement liées entre elles par différents types d'information. La deuxième application concerne le calage du biais de l'altimètre radar, mais aussi l'évaluation de sa dérive de basse fréquence. En rattachant les marégraphes dans le même système de référence terrestre que celui de l'orbite du satellite, nous disposons de mesures indépendantes de la même grandeur physique. Leur confrontation permet alors d'évaluer l'ensemble du système altimétrique: erreurs instrumentales mais aussi erreurs issues des corrections qui sont appliquées aux données satellitaires.



  • SOMMAIRE

  • Guy Woppelmann
    Last modified: Tue Dec 22 14:59:49 MET 1998