I.1.3. Modélisation du climat

Il convient de rappeler qu'un modèle sert d'abord à imiter quelque chose. En l'occurrence, les modèles climatiques sont élaborés pour reproduire l'état du système climatique et son évolution temporelle. Pour ce faire, nous disposons à la base de nos connaissances des processus physiques qui gouvernent le comportement du système climatique. En les exprimant sous une forme mathématique, nous aboutissons au modèle mathématique. Ce dernier est alors constitué d'un système d'équations, complété par des contraintes d'assimilation de données, des contraintes statistiques, des conditions initiales, ou encore des conditions aux limites. Il s'agit en général d'un système fort complexe en raison de l'ensemble hétérogène formé par des équations qui sont issues de la thermodynamique, de la mécanique des fluides, et de la physique du rayonnement.

La complexité du modèle n'est pas seulement due à la diversité des phénomènes physiques pris en compte, et à leur intrication. Elle provient aussi de la formulation mathématique compliquée de certains processus naturels, pour lesquels les équations sont souvent non linéaires. Or, il n'existe pas de méthode analytique générale pour résoudre ces systèmes. L'utilisation des méthodes numériques s'avère indispensable, autant que l'emploi des calculateurs, pour obtenir des solutions. Le traitement numérique des équations par ordinateur confère au modèle climatique son qualificatif de numérique.

Les progrès effectués en informatique, notamment les capacités toujours plus importantes des calculateurs, ont considérablement contribué au développement de la modélisation numérique des processus climatiques. La simulation assistée par ordinateur est devenue un outil indispensable dans l'étude du climat. Elle concourt à améliorer notre compréhension des changements climatiques observés. Mais surtout, elle représente le seul moyen rationnel dont nous disposons pour prédire les changements climatiques, et estimer leurs impacts sur l'environnement et sur l'Homme.

Il existe différents types de modèles climatiques selon les hypothèses et les phénomènes physiques considérés. Les plus élaborés sont probablement les modèles de circulation générale, issus des modèles météorologiques. Ils simulent explicitement les processus dynamiques présents dans l'atmosphère et les océans, en traitant les équations en un nombre discret d'instants dans le temps et de points dans l'espace. La maille élémentaire typique est de quelques centaines de kilomètres sur le plan horizontal et de quelques dizaines de niveaux sur le plan vertical. Les équations sont résolues en chacun des points de la grille tridimensionnelle ainsi formée, ce qui explique en partie le nombre important de degrés de liberté du système et les temps de calculs considérables qui sont encore nécessaires malgré la puissance des ordinateurs dont on dispose aujourd'hui. Par ailleurs, des modèles de glace de mer, neige, sol, végétation et écoulement de cours d'eau complètent en général la dynamique du système couplé océans - atmosphère pour simuler au mieux les budgets hydrologique et énergétique.

D'autres types de modèles climatiques existent. Ils sont parfois classés suivant le critère géométrique du nombre de dimensions considérées, autrement dit suivant le mode de calcul des moyennes dans l'espace. Mais il convient de les distinguer plutôt en fonction de la nature de leurs équations fondamentales, de leur approche déterministe ou statistique, et des facteurs naturels pris en compte. Par exemple, les modèles de circulation générale, couplés atmosphère - océans, figurent parmi les modèles dynamiques, ayant une approche déterministe, et prenant en compte l'atmosphère, les océans et les échanges entre ces deux sous-systèmes. Il s'agit de modèles à trois dimensions. Par ailleurs, on trouve des modèles dynamiques avec une approche plutôt statistique, tels que les modèles de bilan énergétique, ou encore les modèles de radiation et de convection, qui sont une dimension. Toutefois, il semble que les modèles de circulation générale fournissent les simulations les plus réalistes des conditions climatiques moyennes dans les océans et dans l'atmosphère, aussi bien du point de vue des structures régionales que des variabilités interannuelles.

Les variables prédites par les modèles climatiques sont typiquement la température et la pression; plus spécifiquement, l'humidité, les précipitations et le vent dans l'atmosphère; et, la densité, la salinité et les courants dans les océans. En revanche, le niveau des mers est une grandeur peu analysée, en partie à cause des difficultés de simulation. En effet, les modèles de circulation générale les plus détaillés ne considèrent pas encore la dynamique des glaciers [Oberhuber, 1995]. Par conséquent, ils ne peuvent reproduire tous les changements du cycle hydrologique, dont les échanges de masse d'eau dus à la fonte des glaces continentales. Par contre, ils simulent les changements du niveau des mers induits par la dilatation thermique. Les résultats dépendent de la capacité à reproduire une circulation océanique en trois dimensions réaliste puisqu'elle détermine en outre la vitesse à laquelle les masses d'eau de température différente sont distribuées dans l'océan profond. Une résolution spatiale fine est alors indispensable.

Outre les difficultés mentionnées précédemment concernant la complexité des modèles climatiques, d'autres problèmes rendent la simulation ardue. Les méthodes numériques demandent d'une part l'étude de questions plutôt mathématiques, telles que la convergence et la stabilité des solutions [Ghil, 1995]. D'autre part, elles requièrent la définition, en accord avec la nature des phénomènes climatiques étudiés, des incréments associés à l'échantillonnage spatial et temporel. A cet égard, plusieurs problèmes se posent.

La dimension des mailles élémentaires représentent en quelque sorte les limites de nos connaissances des phénomènes de petite échelle. Or, la réponse du climat est justement très sensible à certains d'entre eux, notamment aux phénomènes turbulents par lesquels s'effectuent des échanges importants d'énergie et de masse entre sous-systèmes. A défaut de les résoudre explicitement, on les modélise autant que possible par des paramètres macroscopiques ayant souvent un caractère statistique, ce procédé est connu sous le nom de paramétrisation. Mais tous les problèmes ne sont pas résolus pour autant, car l'échantillonnage spatio-temporel adéquat varie en fonction des composantes considérées du climat. Ainsi par exemple, les structures tourbillonnaires propres aux océans nécessitent un maillage plus fin que leurs homologues dans l'atmosphère. En revanche, les processus océaniques évoluent beaucoup plus lentement que dans l'atmosphère, ils mettent plus longtemps à atteindre un état d'équilibre. Par conséquent, un incrément temporel plus grand est souvent requis. La difficulté est alors de traiter dans un modèle unique des échelles très différentes, car la simulation réaliste du système climatique demande de prendre en compte le comportement de chacune de ses composantes et leurs interactions. Les approches possibles sont: d'ignorer certains phénomènes, de les simplifier aussi fidèlement que possible, ou de les résoudre explicitement en considérant, d'une part, les limites actuelles de puissance des calculateurs, et d'autre part, la propagation des erreurs dont l'origine est alors difficile à identifier.

S'il est effectivement crucial de prendre en compte l'ensemble du système climatique, il n'en demeure pas moins qu'il est encore difficile d'évaluer l'importance relative des différents facteurs. D'autant que de nombreux processus sont mal compris ou que leurs effets sont mal connus. C'est le cas par exemple de l'effet de serre additionnel dû à la vapeur d'eau. Le réchauffement augmente la capacité de l'atmosphère à absorber la vapeur d'eau, qui, par effet de serre, accroît le réchauffement initial. La connaissance de l'amplitude de ce mécanisme de rétroaction positive est encore trop imprécise, notamment en raison des difficultés à estimer la répartition verticale de la vapeur d'eau sur le globe [Sadourny, 1994]. Mais d'autres mécanismes indécelables pourraient encore subsister. Les incertitudes de quantification relative remettent en cause les liens de cause à effet, et alimentent les interrogations quant à l'impact des activités humaines sur le climat. L'effet de serre prédit par les modèles pourrait en outre être masqué par une activité solaire moins importante dans un avenir proche [Lean & Rind, 1996], ou encore, par une phase de refroidissement due à la circulation thermohaline des océans.

L'exemple emprunté à Sadourny [1994] illustre l'importance d'un système d'observation à l'échelle du phénomène étudié, en l'occurrence global. Il contribuerait à la résolution du problème de définir les conditions initiales et les conditions aux limites dont dépend la résolution numérique des équations du modèle climatique. La plupart des contraintes sont mal déterminées car elles s'appuient sur des observations imprécises et incomplètes. Des efforts sont en cours, notamment en mettant à profit les nouvelles technologies spatiales. Quatre organisations internationales (OMM, COI, PNUE, CIUS) ont établi le Système Mondial d'Observation du Climat (SMOC/GCOS) en 1992 [OMM, 1995]. Toutefois, des données pertinentes de qualité ne pourront être disponibles immédiatement car les phénomènes climatiques ont intrinsèquement des caractéristiques à long terme.

Par ailleurs, les observations sont indispensables pour valider les simulations. Les modèles ne sont à l'heure actuelle qu'une représentation simplifiée du système climatique. Les résultats obtenus dépendent du bien fondé des hypothèses et des simplifications nécessaires pour surmonter le panorama de difficultés que nous avons évoqué précédemment.

L'évaluation des performances d'un modèle est fondée sur la confrontation des résultats qui proviennent soit d'autres modèles, soit de mesures contemporaines, soit d'indices paléoclimatiques. L'intercomparaison entre modèles est instructive, néanmoins les fondements théoriques étant proches: équations, approximations, contraintes... les erreurs communes ne peuvent être décelées par ce procédé. Il est donc essentiel que des comparaisons soient aussi effectuées avec des données réelles du climat, présent et passé. Malheureusement, en dehors des difficultés à réduire les mesures indirectes en termes de variables climatiques, nous sommes confrontés à des observations limitées dans l'espace et dans le temps. Les données paléoclimatiques sont d'une part clairsemées, et d'autre part peu nombreuses, soulevant de ce fait la question de représentativité. Les systèmes récents de mesure sont désormais conçus en conséquence avec une couverture mondiale (GCOS, GLOSS...). Mais, observant depuis relativement peu longtemps, ils ne peuvent pas encore révéler toute la variabilité temporelle liée au climat. Le processus d'évaluation consiste en général à comparer des statistiques (moyennes, variances, covariances...) sur des échelles spatio-temporelles en accord avec les phénomènes climatiques étudiés. A cet égard, les statistiques des modèles de circulation générale sont estimées à partir des simulations journalières de la même façon qu'avec les observations du monde réel. Enfin, parmi les précautions à prendre dans le travail de comparaison, il convient de garder à l'esprit que les modèles sont souvent contraints à s'ajuster à certaines données obtenues de la réalité.

Les écarts obtenus de la confrontation des résultats théoriques et réels ont de nombreuses sources d'erreur, parmi lesquelles figurent les erreurs d'approximation physique, mathématique ou numérique. Par ailleurs, la plupart des observations ont un caractère local, notamment les données des paléoclimats, et sont sujettes aux erreurs de mesure, mais aussi d'interprétation. Le problème ardu de l'interprétation des écarts provient principalement de l'intrication des nombreux facteurs considérés et de leur nature non linéaire. Ainsi, les erreurs sont d'une part propagées à travers les différentes composantes du système, et d'autre part, amplifiées, ou atténuées, par les mécanismes de rétroaction. Dès lors, il est délicat d'établir des liens de cause à effet. Par exemple, une erreur peut rester masquée jusqu'au jour où, affinant correctement la théorie, elle se dévoile en remettant en cause, à tort, l'élément nouveau.

L'étude de la réponse du modèle aux changements dans ses constituants est un travail important pour déterminer les paramètres qui influent davantage sur la solution. A titre d'exemple, la sensibilité des modèles à leur façon de représenter les nuages est un point critique, puisqu'elle conduit à un réchauffement variant entre 1,8 et 5,5°C pour un doublement du gaz carbonique atmosphérique [Sadourny, 1994]. En effet, les nuages produisent un effet de refroidissement en réfléchissant le rayonnement solaire, mais aussi un effet de réchauffement en absorbant la radiation terrestre émise vers l'extérieur. Le bilan est incertain, la quantité et le type des nuages peuvent augmenter ou diminuer le réchauffement initial selon que la couverture des nuages haut augmente plus vite ou moins vite que celle des nuages bas.

Les résultats des simulations montrent des différences considérables lorsque les tendances régionales sont comparées entre elles. Une réponse plus accentuée est généralement constatée dans les latitudes élevées en raison de la variation plus importante de l'albédo de ces régions, due en particulier au mécanisme de rétroaction des glaces. Par ailleurs, des expériences récentes avec des modèles de circulation générale couplés atmosphère - océans suggèrent que les réponses régionales peuvent varier d'un facteur deux à trois par rapport à la moyenne globale [IPCC, 1995]. Les différences régionales dans le réchauffement, mais aussi la structure complexe de la circulation océanique, expliquent ces résultats.

Une simulation plus réaliste et plus fine requiert une meilleure résolution spatiale et la considération de l'ensemble des processus physiques significatifs. Outre l'atmosphère et les océans, la dynamique des autres composantes climatiques devrait être intégré en détail dans les modèles de circulation générale. Par exemple, les glaciers et la végétation qui influe sur l'humidité des sols, leur albédo et l'évaporation de l'eau, permettraient d'établir un bilan hydrologique plus complet. Mais, l'atmosphère et les océans n'ont pas dévoilé tous leurs mystères. Bien que les caractéristiques dynamiques globales soient déjà simulées de façon approchée, les incertitudes qui subsistent dans leur circulation générale respective et dans leurs interactions sont à l'origine de réponses régionales qui s'écartent notablement de la réalité. En particulier, en raison des temps de réponse longs, les résultats dépendent de l'état initial des océans, par ailleurs mal connu.

Plus généralement, l'amélioration des modèles climatiques nécessite une meilleure compréhension des phénomènes impliqués. Pour ce faire, il est indispensable d'améliorer l'observation systématique des variables liées au climat sur une base mondiale; d'étudier les changements passés; et de faciliter les échanges internationaux.

La physique du climat est tellement variée et complexe que l'intégration de tous les processus en un seul modèle relève encore de l'utopie. A l'heure actuelle, il n'existe pas une théorie générale pour expliquer l'origine des variations climatiques et les prédire. Les modèles numériques sont assez loin de donner des réponses claires et précises. Suivant leur type, ils reproduisent mieux certains aspects du climat que d'autres, mais, selon Oberhuber [1995], aucun n'a encore réussi à expliquer les variations de température à la surface terrestre qui ont été observées dans le passé. Néanmoins, ils représentent un outil précieux pour clarifier des mécanismes spécifiques du climat, tels que le rôle de la végétation, ou encore, pour étudier la réponse du système climatique à une perturbation donnée, telle que l'augmentation de la concentration en gaz carbonique dans l'atmosphère.



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  • Guy Woppelmann
    Last modified: Tue Dec 29 15:51:34 MET 1998