III.1.3. Application au cas particulier de Marseille

III.1.3.1. Description du dispositif

La figure 50 illustre le principe de l'étalonnage du marégraphe à flotteur de Marseille mis en oeuvre par l'IGN. Le repère de marée est le repère fondamental du Nivellement Général de la France (NGF), on l'appelle aussi [[phi]]. Il définit l'origine des réseaux de nivellement français NGF-Lallemand et NGF-IGN69 par sa cote au-dessus du plan de niveau zéro, commun à ces deux réseaux. En l'occurrence, elle est de 1,661 mètres. De fait, les responsables de l'observatoire ont choisi comme référence du marégraphe précisément le niveau zéro du NGF-IGN69 (ou zéro NGF-Lallemand). La grandeur soumise à mesurage par le marégraphe et le dispositif d'étalonnage est donc la hauteur du plan d'eau au dessus du zéro NGF-IGN69 dans le puits de tranquilisation. Elle est notée {f}.

Figure 50 : Principe de l'étalonnage du marégraphe de Marseille.

Le dispositif d'étalonnage comprend une sonde à pointe, suspendue à un ruban gradué en centimètres, lui-même suspendu à un dérouleur. Le ruban est guidé dans un vérin, solidaire du bras porte sonde. Il défile devant une règle graduée en millimètres, le zéro de cette règle est l'index de lecture du bras porte sonde. Le mode opératoire consiste à coulisser le ruban devant l'index fixe jusqu'à ce que l'extrémité de la sonde entre en contact avec le plan d'eau. Alors, un voyant lumineux s'allume, on serre le vérin sur le ruban, et on effectue les relevés simultanés à l'index de lecture du sondeur {L} et à celui de la réglette du marégraphe {l}. Notons au passage que le rapport d'échelle du marégraphe étant de dix (cf. annexe A), un millimètre lu sur la réglette correspond à un centimètre dans la réalité. En outre, les graduations de la réglette sont exprimées en mètres. L'hétérogénéité des unités demande un minimum de vigilance de la part des intervenants dans la manipulation, et lors des calculs.

D'un côté, la hauteur du plan d'eau {f} est déterminée à partir de la lecture de la réglette du marégraphe {l}:

Equation (E.III.1)

Remarque : Lorsque la réglette indique zéro, la hauteur du niveau de la mer est de {h} au-dessus du plan de référence NGF-IGN69. Ceci explique la description que l'on rencontre souvent dans les archives de l'IGN: l'opération de calage du zéro du marégraphe de Marseille consiste à déterminer l'altitude du zéro de la réglette {h}. En pratique, les graduations inscrites sur la réglette ne comprennent pas le zéro, et le niveau de la mer n'a encore jamais atteint cette hauteur.

De l'autre côté, la hauteur du plan d'eau {f} est déterminée à partir de la lecture de l'index du sondeur {L}:

Equation (E.III.2)

La quantité {N} est déterminée par nivellement à partir du repère de marée en utilisant un niveau opto-mécanique et une mire. La valeur est estimée au dixième de millimètre.

La constante {a} est mesurée à quelques centièmes de millimètres dans les ateliers d'instrumentation de l'IGN, alors que {b} est obtenue sur place à quelques dixièmes de millimètres à l'aide d'une petite règle métallique.

Les corrections {c} et {d} proviennent des étalonnages du ruban en longueur et en température. {d} est déterminée pour un poids de un kilo, celui de la sonde, à la température de 20°C. La valeur de cette correction varie entre plusieurs dixièmes de millimètres et quelques millimètres selon la portion du ruban considérée. Quant à la correction de dilatation, elle est fournie par la formule suivante:

Equation (E.III.3)

D'après Van de Casteele [1962], la sensibilité et la fidélité des sondes lumineuses de l'IGN atteint 0.1 millimètres. Le manuel d'utilisation du sondeur est plus prudent, il indique une précision à mieux que 0.5 millimètres d'eau. Par ailleurs, la lecture {L} serait faite à l'estime à 0.1 millimètres. Van de Casteele évalue la précision sur l'altitude d'une mesure du plan d'eau au millimètre.

III.1.3.2. Les expériences de 1993, 1994 et 1996

Au cours de mon travail de thèse, l'opportunité m'a été offerte de participer aux différents étalonnages du marégraphe de Marseille qui ont eu lieu entre 1993 et 1996 [Wöppelmann 1993, 1995-a, et 1996-b]. Il faut remonter à 1985 pour retrouver la trace du précédent étalonnage. Or, la stabilité de la référence du marégraphe est un contrôle important dans le cadre de l'application de surveillance précise du niveau des mers. Différents groupes d'experts internationaux recommandent d'ailleurs de vérifier la fidélité du marégraphe au moins une fois par an [IOC 1985, Carter 1994].

Les étalonnages passés du marégraphe de Marseille, préalables à 1985, sont difficilement exploitables, car les informations dont nous disposons sont souvent insuffisantes. L'information se résume la plupart du temps au résultat, c'est à dire la valeur de {h}, plus rarement nous trouvons un diagramme de Van de Casteele. Il s'agit de lettres faisant un compte rendu succinct, voire de notes dans le coin d'un registre. Mais, les cinq étalonnages de 1993, 1994 et 1996 suffiront déjà pour illustrer notre propos et évaluer l'état actuel de l'instrument.

Le tableau de la figure 51 regroupe les valeurs des différentes quantités qui interviennent dans chaque étalonnage. Nous avons toujours utilisé le ruban n°3, dont les corrections {d} sont établies par la Division Entretien des Matériels du Service de la Logistique. Ces corrections n'ont pas varié d'un étalonnage à l'autre. De plus, la plage de mesure considérée sur le ruban étant voisine à chaque opération, la valeur de {d} est restée inchangée à -0.6 mm.

Figure 51 : Valeurs des différentes quantités intervenant dans les étalonnages du marégraphe totalisateur de Marseille effectués entre 1993 et 1996.
Etalonnage Sonde n° a (en mm) b (en mm) N (en mm)
1993
1994-1
1994-2
1996-1
1996-2
7
7
11
11
7 et 11
465
465
463.4
463.4
465 et 463.4
58.5 +/- 0.3
58.5 +/- 0.2
75.5 +/- 0.2
75.6 +/- 0.2
58.2 +/- 0.4 et 75.3 +/- 0.2
3107.1 +/- 0.2
3105.65 +/- 0.1
3105.6 +/- 0.1
3071.4 +/- 0.1
3108.3 +/- 0.1

L'altitude de l'index du bras porte-sonde {N} est déterminée à plusieurs reprises au cours de la journée d'étalonnage pour des positions différentes du niveau opto-mécanique. La grandeur mesurée est la dénivelée entre l'index du bras porte-sonde et le repère de marée. L'altitude s'obtient ensuite en ajoutant la cote de ce repère au-dessus du zéro NGF-IGN69. Le nombre de déterminations oscille entre trois et cinq, permettant une estimation de la précision à partir de l'écart-type expérimental.

La constante {b} est également mesurée à plusieurs reprises à l'aide d'une règle métallique. La précision indiquée dans le tableau C7 provient du calcul de l'écart-type expérimental. En ce qui concerne la constante {a} et la correction de trait {d}, elles sont déterminées en laboratoire à mieux que 0.05 mm. Quant à la correction de dilatation, elle oscille entre 0.02 mm et 0.1 mm suivant la relation (E.III.3). La température varie peu dans l'enceinte du puits de tranquilisation, creusée dans la roche de la corniche, entre une manipulation réalisée en hiver et une autre en été. De 19°C à 24°C dans les cas étudiés ici. De plus, la variation journalière est encore plus faible, elle n'excède pas le degré Celsius. Compte tenu de l'amplitude de cette correction et des incertitudes présentes par ailleurs dans le système d'étalonnage, nous l'avons ignorée.

Enfin, les lectures sur la réglette du marégraphe et sur l'index du bras porte-sonde sont effectuées à l'estime à respectivement 0.5 mm et 0.2 mm près. Deux lectures simultanées de {l} et de {L} sont réalisées toutes les vingt-cinq minutes environ, pendant un cycle complet de marée, soit 12h25.

Le premier résultat qui nous importe est la valeur de calage de la référence interne du marégraphe par rapport à sa référence externe {h}. Celle-ci est obtenue de l'équivalence des relations (E.III.1) et (E.III.2) sous l'hypothèse de simultanéité des lectures respectives du sondeur et de la réglette du marégraphe:

Equation (E.III.4)

Nous avons un peu moins d'une trentaine de déterminations de la grandeur {h} à l'issue d'une opération d'étalonnage. Considérant chacune des grandeurs du membre droit de la relation (E.III.4) comme des variables aléatoires indépendantes, nous pouvons estimer la précision d'une détermination de {h} par:

Equation (E.III.5)

L'application numérique, qui ressort de cette relation et des chiffres avancés jusqu'à présent, donne une précision pour {h} de l'ordre de:

Relation

La principale limite de précision provient des lectures {L} et {l}. Toutefois, la moyenne des {n} sondages indépendants, effectués durant le cycle de marée, permet de réduire l'écart-type qui leur est associé d'un facteur racine de {n}. Toujours en supposant que les erreurs sont de type accidentel, nous pouvons estimer {h} avec une précision meilleure que 0.3 mm.

Le tableau de la figure 52 donne les résultats du calage du zéro de la réglette pour nos manipulations de 1993, 1994 et 1996. Les valeurs sont accompagnées d'écart-types estimés à partir d'une relation équivalente à (E.II.5), où l'on distingue les parties constante et variable de la formule (E.III.4). La première correspond aux grandeurs {N}, {a}, {b}, {c} et {d} qui restent constantes a priori au cours de la journée d'étalonnage. Leur somme est associée à un écart-type inférieur à 0.25 mm. Quant à la partie variable, due aux grandeurs {L} et {l}, elle introduit une incertitude que l'on estime à partir de la dispersion des déterminations de {h}. La valeur finale de {h} est obtenue à partir des deux moyennes respectives de la marée ascendante {h[[arrowup]]} et de la marée descendante {h[[arrowdown]]}.

Figure 52 : Résultats des étalonnages du marégraphe totalisateur de Marseille effectués entre 1993 et 1996.
Etalonnage sondages hm(en mm) hd (en mm) h (en mm)
1993
1994-1
1994-2
1996-1
1996-2
28
26
25
33
27
1355.2 +/- 1.9
1355.0 +/- 0.7
1360.4 +/- 0.6
1358.4 +/- 0.5
1359.2 +/- 0.6
1353.1 +/- 1.3
1350.1 +/- 0.7
1355.3 +/- 0.8
1353.3 +/- 0.7
1354.6 +/- 0.7
1354.2 +/- 1.2
1352.6 +/- 0.5
1357.9 +/- 0.5
1355.9 +/- 0.4
1356.9 +/- 0.5

Les diagrammes de Van de Casteele sont regroupés dans les deux graphiques de la figure 53. Le premier est doté d'une échelle comparable en abscisses et en ordonnées. Les diagrammes semblent correspondre à ceux d'un marégraphe idéal, très proches d'une droite verticale. Toutefois, en agrandissant l'échelle des abscisses, leur allure est autre (cf. deuxième graphique). Comme prévu, le marégraphe de Marseille présente des diagrammes de Van de Casteele en forme de cycle d'hystérésis. Cette forme traduit les jeux et les retards dus aux divers éléments mécaniques qui composent ce type d'instrument: engrenages, poulies... Apparemment inévitables, ces défauts ont ici une amplitude relativement faible. Moins de sept millimètres d'écart entre un point sur la branche de marée ascendante et un autre sur celle de marée descendante.

Figure 53 : Diagrammes de Van de Casteele des étalonnages du marégraphe totalisateur de Marseille effectués entre 1993 et 1996.

Chaque branche verticale du cycle d'hystérésis fournit une valeur de {h} pour la marée montante et une autre pour la marée descendante. La valeur à adopter est la valeur centrale du cycle. Lorsque les sondages sont bien espacés dans le temps, nous avons un nombre équivalent de points sur chacune des branches, la moyenne de l'ensemble convient alors. Il est toutefois recommandé d'écarter les points de la marée étale. En pratique, le nombre de données à marée descendante n'est pas égal à celui de la marée ascendante. Par conséquent, la procédure consiste à calculer d'abord l'abscisse moyen de chacune des branches verticales du cycle d'hystérésis, puis leur moyenne.

Seule la courbe de 1993 n'exhibe pas un cycle d'hystérésis net. Elle atteste par contre l'effet de frottements, qui, de fait, masquent tout autre défaut. Le résultat des jeux et des retards apparaît néanmoins lorsque l'on calcule les valeurs moyennes {h[[arrowup]]} et {h[[arrowdown]]}. Leur écart est d'un peu plus de deux millimètres.

La présence de frottements est révélé dans le diagramme de Van de Casteele par le signe caractéristique représenté dans la figure 49. Dans l'étalonnage de 1993, ce type d'imperfection semble présent sur toute la plage de mesure. Sa trace sur le diagramme de Van de Casteele peut s'expliquer à l'aide de la relation (E.III.4): h = fsondeur + l). Sur la branche ascendante de la marée, le défaut se traduit par un décalage vers la droite de notre courbe, car un accrochage du flotteur, de la crémaillère, de la réglette, ou d'une autre partie du marégraphe, résulte en une lecture de la réglette du marégraphe {l} plus importante que sa vraie valeur. Le plan d'eau s'élève sans que le flotteur, ou la partie mécanique concernée, ne transmette le mouvement. Donc, {h} prend une valeur trop grande et tire la courbe vers la droite. En revanche, l'accrochage en marée descendante produit une lecture de la réglette plus petite, et donc une valeur de {h} plus faible. La courbe se décale alors vers la gauche. Un point d'accrochage devrait se retrouver dans les deux parties, ascendante et descendante, d'un diagramme de Van de Casteele si, toutefois, l'échantillonnage des sondages est propice.

L'allure en dents de scie, observée sur le diagramme de 1993, provient de la présence de frottements plutôt que des incertitudes d'observation, qui sont en général moins importantes comme le montrent les autres courbes. L'ampleur de ce défaut est suffisante pour masquer le cycle d'hystérésis, mais surtout elle conduit à une valeur moins précise de la grandeur de calage {h}. Pour une analyse plus détaillée de chaque point d'accrochage, se référer à Wöppelmann [1993].

Suite aux résultats inattendus de l'étalonnage de 1993, un nettoyage des rails de guidage du flotteur, ainsi que du flotteur lui-même, a été réalisé en 1994. Un étalonnage a précédé le nettoyage afin, d'une part, de confirmer les résultats de 1993 et, d'autre part, de mieux cerner l'origine des changements éventuels dans les caractéristiques du marégraphe. En outre, les archives consultés à ce jour indiquaient que, lors de toutes les interventions passées, le marégraphe avait subi un étalonnage préalable et un autre postérieur.

L'étalonnage d'août 1994, préalable au nettoyage, a confirmé la valeur de la grandeur {h}. Malheureusement, la plage de mesure ne coïncidait pas avec celle de 1993, et le diagramme de Van de Casteele correspondant ne témoigne pas des frottements observés en 1993. En revanche, l'étalonnage de septembre 1994, postérieur au nettoyage, présente une plage commune aux deux précédentes opérations. Sur le diagramme de Van de Casteele correspondant, l'imperfection due aux frottements n'est plus visible, et la valeur de {h} s'est légèrement décalée. Le nettoyage aurait finalement atteint l'objectif escompté.

Depuis 1994, aucun événement notable n'a été rapporté. Toutefois, l'allure du diagramme de l'étalonnage de novembre 1996 est quelque peu surprenante et inhabituelle puisque nous observons une marée descendante d'environ trois centimètres et une marée montante d'un peu plus de six centimètres. Le marnage prédit par le SHOM sur le site de Marseille était pourtant de l'ordre de dix centimètres. Si les effets météorologiques peuvent dans certains cas modifier considérablement les prédictions de marée, les conditions atmosphériques étaient stables durant toute la journée. Les phénomènes météo n'expliquent donc pas la dissymétrie observée. Par contre, vers le milieu de l'après-midi, alors que nous profitions d'un répit pour inspecter l'état de l'entrée du chenal conduisant l'eau jusqu'au puits de tranquilisation, nous avons récupéré un tricot qui se trouvait étalé le long du bas de la porte d'accès au puisard, obstruant vraisemblablement l'ensemble des trous d'admission. L'explication de l'allure dissymétrique du test de Van de Casteele se trouverait dans cet élément. Outre l'effet d'amortissement, nous ignorons s'il n'a eu un effet systématique sur le niveau moyen de la mer mesuré à l'intérieur du puits de tranquilisation. L'étalonnage de décembre 1996 a cependant permis de confirmer la valeur de la grandeur de calage {h} que nous avions déterminée un mois auparavant. Les deux valeurs sont cohérentes aux incertitudes près exprimées par leurs écart-types.

Une autre imperfection semble affecter le fonctionnement du marégraphe de Marseille. Il s'agit du défaut d'échelle (cf. figure 49). Celui-ci n'est pas clairement apparent sur tous les diagrammes, mais seulement sur l'étalonnage de décembre 1996 de façon nette. Le défaut d'échelle est dû à une mauvaise transmission de l'information captée par le flotteur. Dans les marégraphes à flotteur, il correspond à un rapport variable entre le déplacement du style inscripteur et celui du flotteur. De nombreux éléments peuvent produire cette imperfection, par exemple, le rapport d'engrenage, une variation du rayon du tambour d'enroulement du câble, le chevauchement des spires sur le cylindre, le diamètre du fil, etc. Dans le cas présent, le défaut d'échelle ne semble toucher que la plage de mesure qui est située au delà de vingt-quatre centimètres au dessus du zéro NGF-IGN69. L'effet sur les données moyennes du niveau de la mer est de nature systématique, car la valeur de {h} varie sur une portion donnée en fonction de la hauteur d'eau considérée.

L'axe du cycle d'hystérésis donne, s'il n'est pas parfaitement parallèle aux ordonnées, l'erreur d'échelle du marégraphe. En l'occurrence, nous avons estimé cet axe à partir des résultats de l'ajustement des données de marée ascendante, puis des données de marée descendante, par régression linéaire (cf. figure 54). Les résultats sont cohérents, et mettent en évidence une relation linéaire entre les grandeurs {f} et {h}:

Relation: Coefficient de corrélation = 0.8

Relation: Coefficient de corrélation = 0.85

Figure 54 : Mise en évidence d'un défaut d'échelle du marégraphe de Marseille à l'aide du test de Van de Casteele appliqué aux données de l'étalonnage de déc. 1996.

Dans chacun des cas de figure, marée montante et marée descendante, nous constatons que la valeur de {h} varie d'un peu plus de deux millimètres entre le bas de la plage de mesure (24.7 cm) et le haut (34.1 cm). Nous ne pouvons cependant conclure à l'existence d'un défaut d'échelle en dehors de cette plage de mesure. Les étalonnages précédents ne présentent pas clairement cette imperfection, mais les performances auraient pu se dégrader depuis. Il est par ailleurs intéressant de noter que la valeur du bas de l'axe incliné du cycle d'hystérésis de décembre 1996, issu de la moyenne des deux droites ci-dessus, coïncide remarquablement, à deux dixièmes de millimètre près, avec la valeur moyenne de {h} de novembre 1996: 1355.9 mm contre 1355.7 mm.

La détermination de l'effet systématique de l'imperfection d'échelle sur le niveau moyen de la mer pourrait être envisagée pour corriger les enregistrements du totalisateur. Seulement, il serait nécessaire de connaître en détail les périodes où le niveau de la mer se trouve dans la plage de mesure affectée par le défaut. Mais, les données instantanées ne sont plus enregistrées depuis juillet 1987.

En exécutant des séries répétées de mesures d'étalonnage de la manière la plus soignée, et dans des conditions aussi différentes que possible, nous sommes capables d'évaluer la qualité de l'instrument. La mise en oeuvre du test de Van de Casteele permet de déceler certaines imperfections de fonctionnement du marégraphe, et de s'assurer de la constance des indications. Les écarts entre les différentes estimations de la grandeur de calage {h} témoignent de la fidélité de l'appareil; d'une part, au cours d'un cycle de marée complet, et, d'autre part, d'une journée d'étalonnage à l'autre sur des plages de mesure différentes a priori. En outre, l'instrument précis doit donner les mêmes réactions dans les mêmes conditions de service. Enfin, un instrument exact est supposé exempt d'erreurs systématiques. Dans une certaine mesure, la comparaison des données du marégraphe et du dispositif sondeur, considéré comme étalon fournissant les valeurs vrais, permettent d'évaluer la justesse ou l'exactitude de l'appareil. Ceci, je le répète, "dans une certaine mesure", car le puits de tranquilisation doit être considéré comme partie intégrante du marégraphe. Or, celui-ci peut introduire des erreurs systématiques dans la mesure du niveau de la mer. Notons au passage la différence entre les termes exactitude et précision, qui sont continuellement employés l'un pour l'autre. Il est d'ailleurs important que la précision, en s'améliorant, tende à rejoindre l'exactitude.

De l'examen des résultats ci-dessus, il ressort que le marégraphe de Marseille est un instrument de grande précision. La somme de ses imperfections de fidélité, de justesse et d'incertitude de lecture introduisent de très petites erreurs, largement négligeables dans la plupart des applications de la marégraphie. Il demeure d'autant plus remarquable qu'il s'agit là d'un appareil qui fonctionne depuis plus d'un siècle. Un effort important serait toutefois nécessaire pour le maintenir dans cet état, notamment en vue de remédier aux imperfections détectées, d'éviter que les erreurs ne s'amplifient davantage, et de s'assurer une maintenance mécanique, que l'IGN n'a peut-être plus la compétence ou la volonté d'engager. La notion de précision est relative comme nous le remarquions dans le chapitre précédent. Or, le besoin de l'application de surveillance du niveau des mers est très exigeante sur cet aspect. En particulier, la fidélité de l'appareil exclut tout phénomène d'hystérésis, toute plage d'incertitude, et sa justesse toute erreur systématique.

III.1.3.3. Panorama de la stabilité de l'instrument

Des étalonnages réguliers permettent de surveiller la stabilité de la référence instrumentale du marégraphe par rapport à une référence extérieure relativement plus stable a priori, en l'occurrence le repère de marée ou, ce qui est équivalent dans le cas de Marseille, le zéro NGF-IGN69. Les résultats des étalonnages effectués entre 1993 et 1996 nous ont donné un premier aperçu du niveau de stabilité de la référence interne du marégraphe de Marseille. Il est de l'ordre de quelques millimètres, voire moins, d'une année à l'autre, sur la courte période considérée. La figure 55 présente un panorama plus large de cette stabilité. Elle donne les valeurs de la grandeur de calage {h} retrouvées dans les archives disponibles à l'unité de marémétrie du SGN en 1993.

Figure 55 : Stabilité du zéro de la réglette du marégraphe de Marseille.

Nous remarquons quelques lacunes au cours desquelles la référence interne du marégraphe atteste des sauts de valeur notable. Par exemple, entre 1985 et 1993, la valeur de {h} passe de 1.342 à 1.354 mètres. S'agit-il d'une dérive continue et régulière de 1.5 mm/an, ou bien d'un changement brusque récent, apparu à l'issu du nettoyage complet du puisard en juin et juillet 1992 ? Des étalonnages réguliers auraient permis de cerner cet événement plus précisément dans le temps, et de corriger son effet rapidement. S'il s'agit effectivement d'une dérive continue, alors une élévation régulière du niveau de la mer de la même amplitude se traduira par un enregistrement marégraphique de tendance nulle, à condition toutefois qu'aucune autre contribution au signal marégraphique n'intervienne (cf. figure 45).

Les changements brusques de la valeur de {h}, observés entre deux étalonnages proches, s'expliquent la plupart du temps par l'effet d'une intervention concrète de maintenance de l'appareil. On note en particulier la visite de mai 1962 au cours de laquelle le flotteur fût nettoyé, les glissières de guidage du totalisateur graissées, et les poulies alignées correctement. L'étalonnage effectué avant d'entreprendre ces opérations confirme la valeur de {h} trouvée en février 1962. En revanche, l'étalonnage postérieur, réalisé quelques jours après, témoigne d'une valeur neuf millimètres plus faible. De même, le changement des fils du flotteur et du compensateur thermique, en mai 1963, se traduit par un saut de la valeur de {h}. L'écart entre les étalonnages précédent et postérieur à cette manipulation est de 5.6 millimètres.

Avant les années 60, les opérations de calage que nous avons retrouvées dans les archives sont rares. On constate une augmentation importante de la valeur de {h} entre 1909 et 1941, environ huit centimètres ! Malheureusement, les informations éparses dont nous disposons ne nous permettent pas de comprendre cet écart. Nous soupçonnons toutefois le changement d'un élément de la crémaillère, ses nouvelles dimensions modifiant l'emplacement de la réglette du marégraphe.

Il est intéressant de noter que la valeur de {h} a toujours eu tendance à augmenter. Le tableau de la figure 56 montre quelle aurait été la dérive de la référence interne du marégraphe de Marseille si les résultats des étalonnages n'avaient pas été pris en compte.

Figure 56 : Dérive de la référence interne du marégraphe de Marseille estimée par régression linéaire sur les données de la grandeur de calage {h} issues des étalonnages disponibles.
Période Dérive interne estimée par régression linéaire (mm/an)
1909-1996
1941-1996
1962-1996
1941-1985
0.73 +/- 0.10
0.34 +/- 0.07
0.47 +/- 0.07
0.05 +/- 0.06

La valeur de la dérive interne du marégraphe de Marseille peut donc atteindre un ordre de grandeur comparable à la tendance du niveau de la mer qui est estimée à partir des marégraphes. Il est donc important de la surveiller par des étalonnages réguliers , et de corriger en conséquence les enregistrements du niveau de la mer qui sont destinés à l'étude des variations eustatiques du niveau de la mer. Bien qu'il subsiste peu de traces des étalonnages antérieurs à 1960, il est fort probable que ceux-ci aient bien été réalisés et pris en compte si l'on se souvient de l'attention accordée à la marémétrie par les ingénieurs géographes de l'époque [Vignal 1935, Hurault 1955].

Enfin, rappelons que l'opération d'étalonnage suppose un repère de marée stable. Cette hypothèse devrait être vérifiée par ailleurs, d'une part, localement à l'aide du nivellement de précision en mettant à profit les repères environnants, d'autre part, à l'échelle régionale, mais aussi globale à l'aide des techniques de géodésie spatiale. Nous aborderons ces questions dans les chapitres suivants.



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  • Guy Woppelmann
    Last modified: Fri Jan 15 17:50:16 MET 1999