III.1.4. Le problème des marégraphes à capteur de pression

Le marégraphe à pression est, comme son nom l'indique, un instrument destiné à mesurer la pression de l'eau au dessus du capteur. Qu'il soit de type pneumatique, à jauge de contrainte mécanique, ou à cristaux de quartz, il doit être immergé à une profondeur suffisante pour ne pas qu'il se retrouve à découvert lors des plus basses mers. De ce fait, même si la référence interne du marégraphe à pression a été calée au préalable en laboratoire par rapport à un élément matériel de l'appareil, ce dernier ne sera malheureusement pas placé avec autant de précision sous l'eau. Par ailleurs, après chaque opération d'entretien du capteur, il ne sera vraisemblablement pas installé exactement à la même position lors du mouillage.

Outre les sources de dérive inhérentes à l'instrumentation, la référence interne du marégraphe à pression est donc susceptible de varier à chaque opération d'entretien du matériel. Or, nous avons vu qu'il est important de surveiller avec précision cette référence dans le temps pour une estimation correcte de la tendance à long terme du niveau de la mer. Des étalonnages réguliers doivent par conséquent être effectués sur place afin de déterminer avec soin le zéro des observations brutes du marégraphe par rapport à la référence arbitraire aisément identifiable et accessible qui est matérialisée par le repère de marée.

Mais, l'étalonnage des marégraphes à capteur de pression soulève une difficulté particulière, liée à leur " avantage " de ne pas requérir de puits de tranquilisation pour leur fonctionnement, ni d'ailleurs d'infrastructures importantes pour leur installation. Il est de ce fait préféré aux autres types de marégraphe, notamment dans les environnements inhospitaliers. Les méthodes classiques d'étalonnage que nous avons vues s'avèrent alors peu efficaces. Elles sont soit peu précises, un à deux centimètres tout au plus, soit difficiles à mettre en oeuvre: pas de puits de tranquilisation, pas d'infrastructure adéquate pour l'installation d'un bras porte-sonde, des conditions de mer calme pas assez fréquentes pour les lectures à l'échelle de marée, etc. Enfin, il est intéressant de se rappeler que l'étalonnage suppose la comparaison des valeurs d'une même grandeur, obtenues simultanément par le marégraphe et le dispositif étalon. Or, les marégraphes à pression modernes fournissent souvent des données intégrées sur un intervalle de temps spécifique, de quelques minutes typiquement.

Le défi technique d'étalonner ce type de marégraphe fut notamment relevé par M. Van Ruymbeke pour satisfaire les objectifs du réseau ROSAME, qui se trouve sous la responsabilité scientifique de C. Le Provost. Assisté de son équipe à l'Observatoire Royal de Bruxelles, et de notre participation, il conçut un premier appareil prototype que nous testâmes d'abord à Marseille, puis sur le site de Kerguelen lors de la campagne NIVMER d'octobre 1994 [Le Provost & Wöppelmann, 1994].

Le principe de mesure repose sur la variation de la capacité électrique d'un tube fabriqué en verre ou en PVC avec la hauteur d'eau à l'intérieur de celui-ci. La mesure brute est équivalente à une fréquence, déterminée à partir d'un comptage sur une période d'intégration spécifiée avant la mise en route de l'instrument: dix secondes, une ou deux minutes. La transformation de la mesure de fréquence en niveau d'eau n'est pas immédiate. Les grandeurs sont liées par une relation de type:

Equation (E.III.6)

Les valeurs des capacités dépendent surtout des caractéristiques physiques et électriques du matériel utilisé, mais aussi des conditions d'utilisation, notamment de la température et de la salinité de l'eau. Un changement important de ces paramètres extérieurs est susceptible d'introduire des imperfections de fidélité dans l'instrument. En particulier, l'indication fournie par l'appareil pour une hauteur d'eau donnée ne sera pas la même a priori selon le site où l'on se trouvera, ou selon la saison de l'année. Toutefois, sur la courte période nécessaire pour effectuer l'étalonnage, on suppose que l'effet est négligeable.

L'idée originale de M. Van Ruymbeke réside dans la possibilité d'étalonner en continu les indications de son instrument, et donc de déterminer la relation entre le niveau de l'eau et la mesure de fréquence à chaque manipulation. Pour ce faire, le prototype compte un capteur particulier parmi les trois capteurs capacitifs en forme de tube qui constituent la partie inférieure de l'appareil. Ce capteur comprend des éléments capacitifs additionnels à des intervalles réguliers du tube, de sorte que le signal de sortie présente une inflexion nette due à la variation rapide de la capacité lorsque l'eau atteint leur niveau. Il existe environ une dizaine de points singuliers de ce type, espacés de vingt centimètres les uns des autres le long du tube. Ils ont été placés avec grand soin en laboratoire. Le traitement des mesures brutes de ce capteur devrait donc permettre d'estimer les paramètres des relations (E.III.6) pour chacun des deux autres tubes capteurs.

Toutefois, pour remplir son rôle d'étalon, il est encore nécessaire que les points singuliers soient repérés par rapport à un élément matériel de l'appareil qui, par ailleurs, puisse être déterminé par rapport au repère de marée. C'est pourquoi, nous avons doté l'appareil d'une mire géodésique couplée à la partie supérieure du prototype (cf. figure 57).

La connaissance de la position des inflexions du capteur par rapport à une graduation de la mire permettra alors de déduire leur hauteur par rapport à la référence arbitraire du marégraphe moyennant des observations de nivellement (cf. figure 57).

Figure 57 : Dispositif d'étalonnage du marégraphe côtier de Kerguelen. Schéma extrait du rapport de la campagne NIVMER-94 [Le Provost & Wöppelmann, 1994].

Les manipulations effectuées à Kerguelen lors de la campagne NIVMER-94 ont permis de mettre en évidence un certain nombre de défauts techniques, notamment concernant l'aspect mécanique de l'appareil. Cependant, l'analyse préliminaire des données semble valider le concept physique de mesure. D'une part, les signaux enregistrés sont cohérents avec celui du marégraphe, d'autre part, le signal du capteur de référence présente effectivement les inflexions prédites que nous avions observées en laboratoire. En outre, le traitement des essais en laboratoire a confirmé la position relative de huit points d'inflexion à vingt centimètres très précisément l'un de l'autre. Le rapport de mission de Le Provost & Wöppelmann [1994], ainsi que l'état d'avancement du projet d'étalon de marégraphes avec l'Observatoire Royal de Belgique [Wöppelmann, 1995] donnent plus de détails sur le mode opératoire, les observations, les difficultés et les problèmes rencontrés. Mise à part l'exploitation de ces données enregistrées par le prototype, un important travail d'analyse, d'évaluation et de mise au point reste encore à réaliser. Selon M. Van Ruymbeke, il conviendrait parfaitement à un travail de thèse en instrumentation.

Entre-temps, d'autres groupes se sont également penchés sur le problème de l'étalonnage des marégraphes à pression, notamment une équipe du Laboratoire Océanographique Proudman (POL), au Royaume Uni. Leur méthode est plus simple dans la mesure où elle ne demande pas le développement de nouveau matériel. Le principe s'appuie sur un deuxième marégraphe à pression placé à proximité du niveau moyen de la mer. Celui-ci a d'abord été étalonné avec précision en laboratoire. Il est installé avec soin sur le site lors de la marée basse, et le calage précis de sa référence interne est alors réalisable par rapport au repère de marée. L'idée de la méthode d'étalonnage est la suivante: pendant que le niveau de l'eau se trouve sous le capteur de pression, l'enregistrement est plat, correspondant au zéro de sa référence interne, dont on connaît la hauteur par rapport au repère de marée. Il suffit alors de comparer les données simultanées des deux marégraphes à pression pendant cette période et les ajuster. Cette méthode a fourni des résultats encourageants, puisqu'elle permettrait déjà un contrôle de la référence interne à mieux que le centimètre, et pourrait atteindre le millimètre [Woodworth et al, 1996].

L'étalonnage d'un marégraphe apparaît donc comme une opération indispensable à effectuer régulièrement pour évaluer les performances de l'instrument et pour surveiller la stabilité de sa référence interne; cela quelque soit la technologie de base. Le marégraphe à capteur acoustique présente toutefois quelques avantages. D'une part, il se trouve au-dessus du plan d'eau. Il est de ce fait plus facile de l'entretenir et de déterminer sa référence instrumentale. Le calage de cette référence peut s'effectuer en laboratoire par rapport à un élément matériel de l'appareil. Cet élément matériel est ensuite positionné aisément au-dessus du repère de marée. D'autre part, il semble que les marégraphes acoustiques aient une référence interne remarquablement stable:

le SHOM, en France, ne constate pas de dérive significative supérieure à un centimètre pour leurs appareils MCN [Dupuy, 1993];

le NTF, en Australie, obtient des résultats qui indiquent une stabilité de l'ordre de 0.2 mm avec leurs appareils SEAFRAME, lorsqu'ils sont utilisés dans leurs conditions optimales [Lennon et al, 1993];

le NOS, aux Etats-Unis, note des écarts faibles sur une cinquantaine de marégraphes NGWLMS, typiquement inférieurs à deux millimètres, après étalonnage sur place [Gill et al, 1993].

Mais, ces résultats sont encore quelque peu préliminaires puisque le déploiement des marégraphes acoustiques est relativement récent. S'ils se confirmaient à plus long terme, la politique d'étalonnage pourrait être revue avec une périodicité plus adaptée à leurs performances.



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  • Guy Woppelmann
    Last modified: Thu Jan 2