III.2. Déplacements verticaux du support du marégraphe

Dès lors que la référence du marégraphe est liée à l'écorce terrestre, tout déplacement vertical de celle-ci est susceptible d'influencer la mesure de l'instrument. Outre les mouvements épéirogéniques, qui regroupent les soulèvements et les affaissements naturels de grands compartiments de l'écorce terrestre, nous devons également considérer les déformations plus locales, parfois de nature artificielle et imputable à l'activité humaine. Les processus physiques à l'origine de ces déplacements sont multiples et variés. Ils peuvent être classés de la manière suivante:

La section présente décrit un peu plus en détail quelles sont ces causes de mouvement à la surface terrestre, et surtout, quelle est leur signature potentielle dans l'enregistrement d'un marégraphe.

III.2.1. Effets des marées terrestres

Les marées terrestres sont les déformations élastiques de l'écorce terrestre due à l'action des forces gravitationnelles de la Lune et du Soleil. L'effet des autres astres étant apparemment négligeable au niveau sous-millimétrique. La variation temporelle suscitée à la surface de la terre par ce phénomène est périodique, en accord avec les mouvements des astres considérés et de leurs effets conjugués. Notons toutefois qu'il existe un terme permanent dépendant de la latitude. Typiquement, l'amplitude du déplacement périodique n'excède pas quelques dizaines de centimètres. Elle dépend de la situation géographique de la station, en raison notamment de la forme elliptique de la Terre et de sa rotation [Wahr, 1981]. Il est relativement aisé de réduire l'effet des marées en utilisant un modèle de correction approprié, tel que celui qui est recommandé par l'IERS [McCarthy (Ed.), 1996]. Ces modèles font intervenir les nombres de Love pour prendre en compte l'élasticité de la terre. Ils sont fonction de la latitude et de la fréquence de l'onde de marée considérée.

III.2.2. Effets tectoniques

Par " effets tectoniques ", nous entendons les déplacements verticaux qui ont une liaison avec à la dérive des plaques tectoniques, autrement dit qui ne se produiraient pas en l'absence de cette dérive des plaques. La figure 58 décrit la configuration des principales plaques tectoniques, telles que DeMets et al [1994] les décrivent. Elles sont au nombre de quatorze. D'autres plaques sont parfois introduites, des micro-plaques en général, afin d'essayer d'expliquer les mouvements complexes qui s'effectuent dans certaines régions. Les limites des plaques sont par endroits incertaines en raison du manque de données précises. Notons par ailleurs que les vitesses horizontales de ces plaques n'excèdent pas quinze centimètres par an.

Figure 58 : Frontières des plaques tectoniques suivant le modèle NNR-NUVEL1A établi par DeMets et al [1994].

D'une manière générale, les soulèvements de l'écorce terrestre prédominent dans les régions où les processus de formation et de destruction des plaques sont les plus actifs. Il s'agit des dorsales, des zones de subduction et de transformation qui se trouvent en bordure des plaques. Toutefois, un certain nombre d'indices suggèrent que des déformations verticales se produiraient également loin des frontières des plaques. A titre d'exemple, les données satellitaires révéleraient une topographie marine en forme de tôle ondulée dans le bassin Indien central [Royer, 1993]. L'ensemble des observations spatiales indiqueraient en outre un raccourcissement de ce bassin par plissement du socle océanique suivant une direction nord-sud. Aussi, Pirazzoli [1976] rapporte l'existence d'un bombement dans la région de Nouvelle Calédonie, du côté des îles Loyauté, qui aurait provoqué l'émersion de nombreuses terrasses marines dans cette région. Ces deux témoignages de mouvements verticaux intraplaques vont toutefois à l'encontre du postulat de la théorie générale de la tectonique, selon lequel les plaques lithosphériques seraient rigides. Mais, comme le remarque justement Pirazzoli [1976], elles ne sont pas si rigides puisqu'elles peuvent se plier de plusieurs centaines de mètres sous l'effet du poids des calottes de glaces continentales (cf. rebond postglaciaire).

Suivant la nature du contact entre les plaques, nous rencontrons des processus de subduction, de plissement, et de séismes qui déplacent verticalement l'écorce terrestre. Les mouvements continus sont typiquement de l'ordre de quelques millimètres par an, et au plus de quelques centimètres par an dans le cas de certains plissements. Quant aux séismes, ils sont provoqués par le glissement brusque de deux blocs de la croûte terrestre, l'un par rapport à l'autre, de part et d'autre d'une discontinuité appelée plan de faille. Trois catégories de failles sont souvent distinguées: les failles normales, où les deux blocs tendent à s'éloigner l'un de l'autre, entraînant des effondrements; les failles inverses, où ils convergent, entraînant des chevauchements; et les failles décrochantes, où les blocs coulissent horizontalement en sens opposé. Les mouvements brusques observés à la suite de tremblements de terre atteignent parfois plusieurs mètres (cf. par exemple la figure 47). Ils apparaissent étroitement localisés à la zone intéressée par le séisme. Mais les tremblements de terre, même assez intenses, ne produisent pas toujours de changement appréciable du niveau du sol. Les déplacements observés sont parfois complexes. Aussi, des sauts brefs mais réguliers se conjuguent quelquefois avec des mouvements continus dans le sens inverse, de l'ordre du millimètre par an, voire le centimètre par an dans les rifts continentaux.

III.2.3. Rebond postglaciaire et autres effets de charge

Le rebond postglaciaire observé en Amérique du nord et en Scandinavie est une conséquence de la fusion, encore relativement récente, des calottes glaciaires qui couvraient ces régions il y a maintenant 18000 ans, et de l'allégement de l'écorce terrestre qui en est résulté. D'après la théorie de l'isostasie, les différents compartiments de la lithosphère et de l'asthénosphère se maintiendraient dans un équilibre relatif suivant les différences de densité de leurs matériaux. Aussi, la formation ou la disparition d'une charge à la surface de la Terre modifiera cet équilibre et entraînera un ajustement en accord avec les variations de poids qui se traduira par un changement du champ de gravité terrestre et une déformation de la surface terrestre. Les effets produits sont fonction de la masse de la charge. Dans le cas d'une masse faible, la réponse de l'écorce terrestre suit un processus élastique. Les échelles spatio-temporelles sont cohérentes avec les dimensions et la durée de la charge, saisonnière à séculaire. En revanche, dans le cas d'une masse importante, la réponse est viscoélastique en raison des transferts de masse qui se produisent sous la lithosphère. Elle perdure bien au-delà de la disparition de la charge sur des centaines ou milliers d'années.

Figure 59 : Description schématique des effets de charge produit par la formation et la fusion d'une grande calotte de glace, d'après Daly [1934] tel que le rapporte Pirazzoli [1976].

Les déformations verticales induites par le rebond postglaciaire seraient aujourd'hui inférieures au centimètre par an [Tushingham & Peltier 1991, Peltier 1995]. Ces auteurs montrent par ailleurs que les effets se manifestent au-delà des limites des calottes glaciaires et du gonflement périphérique. Aussi, les déplacements atteindraient une amplitude maximale de 9 mm/an dans le Golfe de Bothnie; ils ne dépasseraient pas 2 mm/an au niveau du bombement périphérique; et, vers l'équateur, ils seraient d'à peine quelques dixièmes de millimètre par an.

Outre le mécanisme physique décrit ci-dessus, d'autres phénomènes isostatiques se produisent en liaison avec les modifications de charge introduites par l'eau, l'air et les matériaux solides à la surface de la terre. Parmi ces phénomènes de charge nous avons:

* l'hydroisostasie. La fonte des glaces continentales augmente la masse d'eau dans les bassins océaniques, enfonçant ces derniers et soulevant les continents par transfert de masse en profondeur depuis les océans [Pirazzoli 1995]. Notons que les côtes, et par suite les marégraphes, se trouvent dans une position intermédiaire. La stabilité de la station dépendra de sa position par rapport à une ligne d'équilibre de mouvement vertical nul.

* la surcharge océanique. Ce terme comprend l'effet périodique de la charge provoquée par la marée océanique au voisinage du littoral. L'effet est très localisé et l'amplitude du mouvement vertical est de l'ordre de plusieurs centimètres. Des modèles ont été développés en vue de connaître ce déplacement au niveau du millimètre [McCarthy, 1996].

* l'effet de charge atmosphérique. Les variations de la pression barométrique peuvent entraîner des déformations verticales de l'écorce terrestre de l'ordre de quelques centimètres sur quelques jours à quelques mois [Van Dam & Wahr 1987, Sun et al 1995]. Pradel [1995] montre que les modèles disponibles s'accordent à mieux que le millimètre en zone continentale, mais que leurs écarts peuvent dépasser quatre millimètres à proximité du littoral, parfois la moitié du déplacement calculé.

* la sédimentation et l'érosion. La force de pesanteur et l'érosion produisent un transfert unilatéral de matière des terres émergées vers les plaines alluviales, les plateaux continentaux, et le fond des océans. L'allégement des terres émergées et l'alourdissement des bassins océaniques s'accompagnent d'ajustements isostatiques et de phénomènes de compaction ou diagenèse. De même que dans le cas de l'hydroisostasie, l'effet sur l'enregistrement d'un marégraphe côtier est parfois ambiguë. Dans les bassins, la subsidence est inférieure au dixième de millimètre par an. Par contre, dans les embouchures des cours d'eau, elle peut atteindre plusieurs millimètres par an.

* la thermo-isostasie. La croûte terrestre s'épaissit par refroidissement au fur et à mesure qu'elle s'éloigne de son lieu de formation dans les dorsales. L'enfoncement subséquent n'excéderait pas quelques dixièmes de millimètres par an [Pirazzoli, 1995].

III.2.4. Effets du volcanisme

Nous avons omis de parler du volcanisme à l'occasion des effets liés aux mouvements des plaques tectoniques. Pourtant, ce phénomène est fréquent à proximité des frontières des plaques, car il est étroitement lié la formation et à la destruction de la croûte terrestre. La remontée de magma s'effectue par les dorsales ou par les fissures de l'écorce qui peuvent se former dans les zones de convergence où siègent de fortes contraintes mécaniques. Mais, il existe un autre type de volcanisme, moins connu car il est associé à un phénomène particulier de convection du manteau, plus rare. C'est le volcanisme lié aux points chauds, ou " hot spots " en anglais. Pirazzoli [1995] explique en détail ce mécanisme physique en l'illustrant par l'exemple de la chaîne des îles de la Société dans le sud du Pacifique. Le réchauffement de la lithosphère sous un point chaud provoque son amincissement, et donc son soulèvement par ajustement isostatique. L'apparition des volcans est ainsi favorisé. Il convient de noter à cet égard que les points chauds sont justement révélés dans l'océan par les chapelets d'îles volcaniques alignées dans la direction du déplacement de la plaque tectonique. Un point chaud resterait à une position fixe dans un système de référence terrestre pendant plusieurs millions d'années.

Les volcans sont susceptibles de générer au moins deux mécanismes différents de déplacement vertical de l'écorce terrestre : tout d'abord le gonflement du sol par la remontée lente du magma, ensuite le phénomène de charge dû à l'apport de masse qui constitue de fait le volcan lui-même. L'analyse des données de nivellement du premier ordre obtenues en 1951 et en 1994 dans la zone du volcan des monts Albains, en Italie, révèle un soulèvement maximal de trente centimètres, soit environ 7 mm/an [Amato & Chiarabba, 1995]. Les auteurs notent par ailleurs que les mesures plus anciennes effectuées en 1891 et 1927 montrent un soulèvement beaucoup plus faible. Dans l'île Sao Miguel des Açores, Sigmundsson et al [1995] trouvent des déplacements verticaux du même ordre de grandeur dans la zone du volcan de Furnas à partir de données GPS. Mais, certains indicateurs géologiques ou archéologiques montrent que l'amplitude des soulèvements dans les zones volcaniques peut atteindre plusieurs dizaines de centimètres sur quelques centaines d'années. Ce fut notamment le cas de la zone proche du port de Pozzuoli, non loin du volcan situé près de Naples, selon les témoignages archéologiques recueillis au temple de Sérapis [Pirazzoli, 1976 et 1995]. En ce qui concerne l'effet de charge du volcan, il est analogue à celui qui est créé par la charge des glaces continentales. On parle d'ailleurs de volcano-isostasie parfois. De même, un bulbe périphérique est manifeste. L'effet se produit à l'échelle de temps géologique, et son amplitude est faible, typiquement inférieure au millimètre par an. Il se conjugue aux effets d'allégement dû à l'érosion, d'alourdissement dû à la formation de coraux, et de déplacement horizontal apparent du point chaud.

III.2.5. Effets des nappes d'eau souterraine

Les variations de niveau des nappes d'eau souterraine produisent des effets de gonflement et de dégonflement qui déforment l'écorce terrestre. L'évaluation quantitative de l'effet n'est pas aisé puisqu'il est nécessaire de connaître la perméabilité des roches, le contenu en eau souterraine, et leurs variations. L'effet n'est vraisemblablement pas toujours négligeable. Inférieur à quelques centimètres, il a de toute évidence un caractère saisonnier, mais un assèchement continu pourrait introduire un effet à plus long terme. Aussi, le processus physique est lié aux changements dans le régime des précipitations.

III.2.6. Effets anthropiques

L'action de l'Homme sur la stabilité verticale de la côte est variée, néanmoins les effets anthropiques sont toujours dans le sens de la subsidence de celle-ci. Parmi les causes artificielles d'affaissement, citons:

L'amplitude de ces effets est variable. Emery & Aubrey [1991] donnent des valeurs de l'ordre de la dizaine de centimètres par an en certains sites de pompage de pétrole au Venezuela et dans le sud de la Californie. Ils citent à l'égard de l'extraction d'eau souterraine les exemples célèbres de Venise, de la Floride, ou encore de Bangkok. La durée des effets de pompage peut s'étaler sur plusieurs décennies, voire plus. Elle dépend bien entendu de l'ampleur de l'exploitation. Le tassement des fondations est vraisemblablement significatif, de l'ordre de quelques millimètres par an. Une quantification plus précise est ici aussi fonction des sites considérés.

Figure 60 : Tableau récapitulatif des mouvements verticaux de l'écorce terrestre qui peuvent affecter la stabilité du support du marégraphe.

        Signal              Amplitude         Echelle      Echelle temporelle    
                                             spatiale                            
Marées terrestres            <= 30 cm         Locale      Périodicité liée aux   
                                                          mouvements des astres  
Effets de charge           <= 2 cm/an <=     Régionale        Glaciations (~     
Rebond postglaciaire      10 cm <= 2 cm       Locale,        -10000 ans) Cf.     
Surcharge océanique      < 0.03 mm/an <=   côtes Locale     marées Jour à 10     
Surcharge                    5 mm/an        à régionale      jours  Milliers     
atmosphérique                                 Bassin       d'années Séculaire    
Sédimentation  Bassins                        Locale             et plus         
océaniques                                                                       
Embouchures fluviales                                                            
Effets tectoniques          <= quelques       Locale à      Millions d'années    
Jeux de failles,             cm/an <=        régionale      Effet bref < jour    
plissements  Séismes     plusieurs mètres    Locale à                            
                                             régionale                           
Effets du volcanisme        <= quelques        Locale          Décennale à       
Gonflement-dégonflement   dm/an <= mm/an     Régionale    séculaire Long terme   
Volcano-isostasie                                          (séculaire et plus)   
Variations du niveau      <= quelques cm      Locale           Saisonnière et       
des nappes d'eau                                             plus
(liée aux      
souterraine                                                  précipitations)     
Effets anthropiques          10 cm/an,         Locale       Décennal, et plus    
Extractions de           voire plus <= 5      Locale         Plusieurs mois,     
pétrole, etc.                 mm/an                            voire plus        
Tassement des                                                                    
ouvrages: quai, port,                                                            
etc.                                                                             

Au terme de cette revue, il apparaît clairement que les variations eustatiques, dues aux changements de volume d'eau et enregistrées par les marégraphes, sont susceptibles d'être masquées par celles de nombreux phénomènes physiques de déformation verticale de l'écorce terrestre. Considérant leur amplitude et leur comportement linéaire sur de longues périodes de temps, la distinction entre les processus terrestres et océaniques est irréalisable sans un apport complémentaire d'information aux données marégraphiques. Mais, peu de modèles sont à l'heure actuelle disponibles pour corriger ces déplacements verticaux du support du marégraphe de manière satisfaisante. Le rebond postglaciaire est encore l'effet le mieux reproduit, néanmoins nous avons vu dans le chapitre II que les incertitudes qu'il introduit sont encore trop importantes.

L'approche qui consiste à imaginer que la contribution de la composante terrestre du signal marégraphique disparaît lorsque l'on calcule des moyennes sur un grand nombre de stations, réparties à l'échelle du globe et loin des régions jadis couvertes par les épaisses calottes de glace, s'avère approximative et incertaine. Non seulement l'échantillonnage spatial des marégraphes intéressants est peu optimal (cf. chapitre II), mais les affaissements semblent aujourd'hui plus fréquents sur les côtes que les soulèvements [Pirazzoli, 1976], à cause notamment de la thermo-isostasie, de l'hydro-isostasie et de la sédimentation, mais aussi des effets anthropiques.

L'approche des côtes stables semble également sujette à controverse. La carte établie par Emery & Aubrey [1991] montre justement que peu de côtes semblent dépourvues de mouvements épirogéniques. Cette carte est issue de la collecte d'un grand nombre d'évidences géologiques. Mais, ces dernières ne prouvent pas rigoureusement que les mouvements perdurent ou que d'autres effets ne se sont pas manifestés depuis. De fait, nulle côte ne peut être considérée verticalement stable comme l'indique Pirazzoli [1995]. Emery & Aubrey [1991] reconnaissent d'ailleurs que les enregistrements des marégraphes reflètent tout autant des déformations de l'écorce terrestre que des variations du niveau de la mer. Qui plus est, le ralentissement de l'expansion des océans il y a environ 6000 ans, appuie leur idée que les tendances marégraphiques révèlent d'abord l'effet des mouvements épirogéniques. Les variations eustatiques étant considérées comme du bruit.



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  • Guy Woppelmann
    Last modified: Thu Jan 22 16:43:33 WET 1998