V.2. Le géoïde

Le champ de pesanteur terrestre s'exprime avantageusement sous la forme d'un gradient de potentiel. Il est alors possible de définir des surfaces abstraites d'égale valeur du potentiel de pesanteur. Le géoïde est en l'occurrence une surface équipotentielle idéale créée par le champ de pesanteur terrestre. La surface de la mer coïnciderait avec le géoïde si les conditions d'homogénéité et de repos de l'océan et de l'atmosphère étaient parfaites, d'une part, et si aucun effet d'origine astronomique ne venait perturber son équilibre, d'autre part. Le géoïde est par conséquent une surface de niveau particulière, définie d'un point de vue statique, où tous les points appartenant à celle-ci ont un potentiel constant théorique W0. En outre, tout point de cette surface est orthogonal aux lignes de force engendrées par le champ de pesanteur terrestre.

Le géoïde présente de fait une surface géométrique fort complexe, non seulement à cause des effets de la rotation de la Terre autour de son axe d'inertie ou des effets permanents de la marée, mais surtout en raison des irrégularités dans la distribution des masses à l'intérieur de la Terre. Aussi, la forme du géoïde est sphéroïdale avec des ondulations qui peuvent atteindre jusqu'à cent mètres par rapport à une forme moyenne régulière, représentée par un ellipsoïde de révolution. La distribution irrégulière des masses à l'intérieur de la Terre explique aussi pourquoi l'écart entre les surfaces équipotentielles varie d'un lieu à l'autre. Lorsqu'elles se rapprochent, l'intensité du champ de pesanteur augmente, puisque la pesanteur dérive du potentiel. Lorsqu'elles s'éloignent, la valeur diminue. Notons que la pesanteur n'est a priori pas constante sur une surface équipotentielle.

La première approche du géoïde a longtemps été réalisée à travers l'observation de la surface océanique. Le niveau moyen de la mer diffère peu du géoïde. Les écarts sont typiquement décimétriques, parfois métriques. Ils sont dus aux effets de nature systématique qui sont produits par un monde réel où les conditions idéales évoquées auparavant ne s'appliquent pas. Les effets systématiques ne sont pas identiques d'un lieu à l'autre, ni d'une époque à l'autre en un même site. Dès lors, de nombreuses réalisations du géoïde ont vu le jour, s'appuyant sur les mesures de marégraphie. Notons au passage que la grandeur séparant la surface moyenne de la mer du géoïde porte le nom de topographie dynamique de l'océan.

Outre la marégraphie, de nombreux autres moyens techniques permettent aujourd'hui d'accéder au géoïde. Ils offrent chacun leur variété de réalisations possibles. L'altimétrie spatiale représente par exemple une source moderne de données qui contribue à élaborer des géoïdes marins et, par suite, à réaliser un géoïde mondial. Sur les terres émergées, nous disposons des techniques traditionnelles de nivellement et, plus récentes, de gravimétrie absolue. D'un point de vue plus global, les systèmes spatiaux de positionnement fournissent leurs lots d'informations par l'étude des trajectoires de satellites artificiels. Les satellites bas sont en effet affectés par les irrégularités du potentiel de gravitation terrestre.

L'expression mathématique d'un modèle de géoïde dépend des observations employées et de l'approche idéale adoptée pour le réaliser. Une première approche est de se donner un réseau de points appartenant à la surface équipotentielle géoïdale, ou dont on connaît l'écart à cette surface. Les méthodes d'interpolation plus ou moins sophistiquées permettent alors d'établir une carte de géoïde en courbes de niveau, par exemple, ou encore, une grille de géoïde. Une deuxième approche est d'adopter une valeur constante W0 du potentiel de pesanteur et d'utiliser un modèle physique du potentiel terrestre, développé en harmoniques sphériques par exemple. Les paramètres du modèle de géoïde choisi sont estimés à partir des observations. La plupart du temps, on emploie plusieurs types d'observation, car chaque technique est sensible à des longueurs d'ondes privilégiées du champ de pesanteur. L'exercice de combinaison des jeux de données hétérogènes est néanmoins un travail complexe et délicat. Le modèle de géoïde mondial OSU91-A [Rapp et al, 1991] est un modèle en harmoniques sphériques, développé jusqu'au degré et ordre 360, qui a été déterminé à partir de l'analyse des perturbations des trajectoires de nombreux satellites, d'une grille mondiale de données gravimétriques, des données d'altimétrie spatiale de GEOSAT, et d'un modèle numérique de terrain mondial.

L'intérêt du géoïde est incontestable, aussi bien pour des applications géodésiques que dans certains domaines de la géophysique et de l'océanographie. L'étude des écarts entre le niveau moyen de la mer et le géoïde, autrement dit la topographie dynamique de la mer, apporte des indices précieux sur les phénomènes responsables de ces écarts [Le Provost, 1990]. Par ailleurs, la référence physique idéale des équations hydrostatiques et hydrodynamiques développées par les océanographes est le géoïde. Aussi, une bonne connaissance du géoïde permet d'étudier la circulation océanique générale de surface avec des données précises d'altimétrie spatiale. La figure 68 illustre l'utilisation du modèle de géoïde mondial " OSU91-A " pour obtenir la topographie dynamique de l'océan. L'image révèle la plupart des courants océaniques de surface que nous connaissons déjà par les observations in situ. Elle donne en outre une idée de l'ordre de grandeur des écarts de la topographique dynamique par rapport au géoïde. L'amplitude varie entre -110 cm et +110 cm.

Toutefois, l'intérêt du géoïde est limité dans le cadre de notre problème car il présente des variations temporelles liées non seulement aux marées, mais surtout aux phénomènes épirogéniques et eustatiques que nous essayons justement de détecter. L'effet périodique des marées est retiré dans les modèles de géoïde. Par contre, la composante permanente de la marée luni-solaire peut être traitée de façon différente d'un modèle à l'autre. Quelquefois elle est conservée, d'autres fois elle est corrigée, et parfois elle est corrigée en gardant la déformation qu'elle engendre sur la figure de la Terre. Ainsi, la manière de traiter la marée permanente définit des classes différentes de géoïde. En ce qui concerne les autres phénomènes de variation du géoïde, ils sont associés à des transports de masse en surface ou en profondeur à plus long terme. Ekman [1992] observe que les résultats récents issus des mesures de gravimétrie attestent des variations de l'ordre de 0.4 mm/an dans les régions scandinaves, aujourd'hui affectées par le rebond postglaciaire. Il indique aussi que ces variations seraient toujours inférieures à 0.8 mm/an. Considérant les changements à long terme, les réalisations du géoïde doivent en toute rigueur être associées à une date de référence, en accord avec les observations utilisées.

Figure 68 : Topographie dynamique de la mer obtenue à partir des observations du satellite TOPEX/POSEIDON entre octobre 1992 et juillet 1993 (en cm). Données extraites d'une image du serveur internet de CLS, Groupe d'Océanographie Spatiale du CNES, Toulouse, France.



  • Précédent: V.1. La référence du marégraphe
  • Suivant: V.3. La surface d'altitude zéro d'un réseau de nivellement
  • Sommaire

  • Guy Woppelmann
    Last modified: Fri Dec 18 18:23:27 MET 1998