VI. Le système de référence terrestre de l'IERS : l'ITRS

Nous abordons à présent l'étude du système de référence terrestre qui est réalisé et maintenu par le service international de la rotation terrestre, l'IERS, succédant dans cette tâche au Bureau International de l'Heure (BIH) et au Service International du Mouvement du Pôle (SIMP), depuis 1988. Ce système de référence est connu sous son sigle ITRS, qui s'explicite aujourd'hui ainsi : International Terrestrial Reference System. L'UGGI l'a adopté lors de sa vingtième assemblée générale de Vienne en 1991. Son utilisation est recommandée pour toute application géodésique ou géophysique qui demande une grande exactitude dans le positionnement, en particulier, la surveillance et l'étude des mouvements géodynamiques à la surface de la Terre.

L'objet principal de ce chapitre est de dégager les performances actuelles des réalisations de l'ITRS, mais aussi les améliorations escomptées dans un avenir proche, puisque j'ai eu la chance de travailler au LAREG avec les personnes de la section de l'IERS qui s'occupent du calcul du repère associé. Dans un premier temps, nous rappellerons brièvement la définition du système de référence terrestre conventionnel ITRS, et nous expliquerons comment sont construites les solutions du repère conventionnel ITRF : International Terrestrial Reference Frame. Ensuite, on regardera comment est évaluée la qualité du repère, et surtout, comment il doit être utilisé pour l'étude des déformations de l'écorce terrestre. Le but est également de mieux comprendre les résultats qui sont fournis par les techniques de géodésie spatiale afin de s'assurer la meilleure interprétation possible des mouvements verticaux observés.

VI.1. Définition et réalisation

VI.1.1. Le système conventionnel ITRS

Dans le cadre des concepts introduits dans le chapitre précédent, nous dirons que le système de référence terrestre conventionnel établi par l'IERS vise à réaliser un repère orthonormé de l'espace affine euclidien de dimension trois. La base vectorielle du repère est définie en accord avec les critères spécifiés par Boucher [1990-b]. Ils sont repris dans les conventions et standards de l'IERS, et s'énoncent ainsi:

La contrainte globale introduite dans le dernier point est nécessaire pour permettre une description et une quantification correcte des déformations géophysiques à la surface terrestre en s'assurant que toute rotation artificielle du repère par rapport à l'écorce terrestre est éliminée au préalable. Mais elle est surtout indispensable pour définir le système de référence d'une réalisation numérique, à cause de la corrélation naturelle qui existe entre le mouvement de rotation de la Terre et l'évolution de l'orientation du repère autour de l'axe `z'.

Les conventions et les standards publiés par l'IERS [McCarthy, 1989, 1992 et 1996] décrivent les éléments du système de référence terrestre adoptés. Ces publications précisent autant que possible les données et les méthodes d'analyse qui sont cohérentes avec la réalisation de l'ITRS. Les informations techniques fournies dans les standards de l'IERS concernent un certain nombre de définitions, les valeurs numériques des constantes physiques et astronomiques, et les divers modèles à utiliser. Notons entre parenthèses que l'ellipsoïde de référence choisi est le GRS80, dont les valeurs du demi-grand axe et de l'aplatissement sont rappelées dans le tableau de la figure 71 du chapitre précédent. On y trouve par ailleurs la formulation générale adoptée pour exprimer la position d'un point à la surface terrestre en fonction du temps. Elle est reprise ici dans l'équation suivante:

Equation (E.VI.1)

Le dernier terme du membre de droite regroupe en particulier les déplacements engendrés par les marées terrestres, le rebond postglaciaire, la marée du pôle, et les surcharges océanique et atmosphérique. Aussi, l'IERS présente dans ses standards les modèles actuellement disponibles qui permettent une correction adéquate des déformations induites par ces phénomènes. Les effets plus spécifiques dus au volcanisme, aux séismes, aux variations de niveau des nappes phréatiques, ou à d'autres instabilités locales, sont également à considérer si l'on souhaite atteindre un système de référence cohérent au niveau du millimètre à la surface terrestre. Il n'existe malheureusement pas toujours de modèle approprié qui permette un niveau de correction millimétrique de ces effets. Les erreurs de modélisation doivent être aussi petites que possible en relation avec les erreurs de mesure.

Le paramètre de vitesse de (E.VI.1) est souvent décomposé en deux termes: une contribution horizontale de la tectonique des plaques et une vitesse résiduelle. Ceci permet d'utiliser le modèle de mouvement des plaques recommandé par l'IERS, à savoir NNR-NUVEL1A établi par DeMets et al [1994]. Ce modèle s'appuie en particulier sur des contraintes de non rotation globale de l'écorce terrestre en accord avec le modèle physique d'axes de Tisserand. Son application dans l'analyse des coordonnées d'un ensemble de points permet d'assurer une évolution temporelle convenable de l'orientation du repère de référence terrestre sous-jacent. Il est toutefois important que ces points soient répartis uniformément à la surface de la Terre.

Tout centre d'analyse désireux de participer à l'élaboration du repère de l'IERS est sensé adhérer aux spécifications des standards cités ci-dessus et motiver leurs choix divergents le cas échéant. Les éditions successives de 1989, 1992 et 1996 témoignent des progrès techniques et scientifiques rapides accomplis en une décennie.

VI.1.2. Le repère conventionnel ITRF

Le repère de référence terrestre conventionnel de l'IERS est élaboré en combinant les coordonnées de plusieurs ensembles de points. Notons qu'ici la notion de coordonnées est employée dans un sens quelque peu abusif puisqu'elle comprend une signification paramétrique plus générale qui inclut les vitesses lorsque celles-ci sont effectivement disponibles. Nous expliciterons clairement par la suite les paramètres dans les modèles. Les coordonnées des points de chaque ensemble ou jeu sont obtenues à partir de l'analyse des observations de géodésie spatiale, en accord avec les conventions adoptées par l'IERS. En général, un jeu est fourni par un centre d'analyse traitant un type de technique. Les points sont des repères matériels ou des stations de poursuite au sol. Ils constituent de fait un réseau géodésique de dimension mondiale. Le repère ITRF est alors concrétisé par un ensemble de points répartis à la surface du globe avec leurs coordonnées respectives combinées.

Les techniques spatiales considérées sont celles qui fournissent des jeux de coordonnées d'une qualité et d'une cohérence jugées suffisantes par l'IERS. Aujourd'hui, cela concerne l'interférométrie à très longue base (VLBI), la télémétrie laser terre - satellite (SLR ou LLR selon que l'objet visé est un satellite artificiel ou la lune), et les systèmes radioélectriques GPS et DORIS. Le GPS fut adopté par l'IERS en 1991, après étude de ses performances, et le système français DORIS en 1994.

Chaque technique de géodésie spatiale est plus ou moins sensible à certains éléments du système de référence terrestre de l'IERS. De fait, chacune définit un système intrinsèque exclusif, en fonction de ses particularités et des modèles qui sont effectivement mis en oeuvre pour analyser les observations. Une technique offre la possibilité de réaliser une multitude de repères suivant les choix adoptés par le centre d'analyse. Aussi, la stratégie de combinaison des jeux de coordonnées par l'IERS est fondée sur une appréciation convenable des qualités intrinsèques à chaque technique et des réalisations concrètes proposées par les divers centres. A titre d'exemple, la télémétrie laser sur satellite artificiel est sensible au centre de masse de la Terre. Il est alors approprié de fixer l'origine du repère à celui d'une ou de plusieurs solutions obtenues à partir de cette technique. Lorsque plusieurs techniques sont sensibles à un même élément, une combinaison des résultats individuels est envisageable, voire souhaitable. Les choix de réalisation du repère de l'IERS paraissent parfois subjectifs, à cet égard le repère adopté en fin de processus mérite pleinement son attribut de conventionnel.

La méthode de combinaison des jeux de coordonnées repose sur le modèle mathématique de transformation par similitude vectorielle à sept paramètres d'un repère orthonormé de l'espace affine de dimension trois, muni d'un système de coordonnées cartésiennes (x,y,z), vers un autre repère de même nature (xS,yS,zS). Les paramètres de transformation sont : un facteur d'échelle, trois translations et trois rotations suivant chaque axe du repère. La formulation adoptée par l'IERS est une forme linéaire dérivée qui néglige les termes du deuxième ordre évalués à 10-10, soit quelques 0.6 mm à la surface de la Terre. Elle suppose que les repères sont suffisamment proches pour permettre la linéarisation, autrement dit, que les origines sont près du géocentre; que les axes sont quasiment parallèles; et que les décalages en échelle sont petits. L'expression simplifiée s'écrit ainsi:

Equation (E.VI.2)

Ce modèle d'analyse est spécifié dans les standards de l'IERS. Il est utilisé en prenant comme paramètres d'ajustement les trois translations (Ti), les trois rotations (Ri), le facteur d'échelle (D), et le jeu combiné de coordonnées (x,y,z). Les observations sont alors les jeux de coordonnées (xS,yS,zS) fournis par les divers centres d'analyse. Chaque jeu suppose a priori un lot associé de paramètres de transformation à estimer. A ce jour, la technique d'ajustement des paramètres s'est appuyée sur la méthode des moindres carrés. Le système d'équations requiert néanmoins des informations supplémentaires si l'on souhaite combiner des jeux de coordonnées issus de techniques différentes. Ces informations sont apportées par des vecteurs mesurés avec précision entre les points concernés au sein d'un site. On parle de techniques en colocation. Les vecteurs locaux ainsi déterminés sont introduits dans le système d'équations sous forme de relations d'observation additionnelles. En théorie, un minimum de trois points liés de cette manière sont nécessaires pour que le système soit soluble entre deux jeux de techniques différentes. Mais il sera d'autant mieux déterminé que les sites en colocation sont nombreux et répartis uniformément à la surface terrestre.

Un modèle plus sophistiqué est étudié depuis quelques temps au LAREG de sorte que les vitesses des points et l'évolution dans le temps des paramètres de transformation soient pris en compte dans une analyse complète des jeux de coordonnées. Notons que jusqu'à présent la combinaison des positions et des vitesses était effectuée séparément par deux logiciels distincts. La méthode de combinaison des vitesses était toutefois équivalente à celle des jeux de positions, et cohérente avec le modèle physique adopté (E.VI.2) [Boucher et al, 1992]. Le modèle unifié est issu du précédent. Il est plus rigoureux et satisfaisant car il permet d'une part l'estimation de l'ensemble des paramètres dans un même calcul et, d'autre part, le traitement des jeux de coordonnées fournis à des dates de référence différentes. La formulation générale est explicitée dans la relation suivante (E.VI.3). Elle envisage les cas où des points d'un même jeu se rapportent à une date différente, indice par point i, et les cas où des jeux de coordonnées se rapportent au même repère, donc à une même transformation à quatorze paramètres, indice k. Les paramètres de transformation étant dans cette approche générale fonction du temps.

Equation (E.VI.3)

Bien qu'elle ne soit pas encore appliquée dans le calcul du repère de l'IERS, la mise en oeuvre récente du modèle ci-dessus a été testée avec satisfaction [Altamimi et al, 1996]. Nous ne rentrerons pas davantage dans le détail des considérations techniques de l'établissement du modèle ou du processus de calcul, ni de l'utilisation délicate des diverses informations fournies par les centres d'analyse, notamment des matrices de covariance associées à leur solution. A cet égard, signalons toutefois l'étude de nouvelles méthodes d'analyse statistique effectuée par Sillard [1997-a] pour estimer de manière rigoureuse la qualité des jeux individuels fournis par les divers centres. Ce travail est effectué en vue d'obtenir une pondération plus convenable des lots de données qui, en outre, laisse peu de latitude aux appréciations subjectives parfois critiquées.



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  • Guy Woppelmann
    Last modified: Tue Dec 22 12:55:04 MET 1998